vendredi 12 novembre 2021

Louis-Sébastien Mercier. L'An 2440, rêve s'il en fut jamais (1791). Relié avec : Essai sur les principes de la morale naturelle. Par M. Boesnier de l'Orme. (1792). Très rare édition originale imprimée à Blois.


Le plus rare des deux ouvrages reliés ensemble.


MERCIER (Louis-Sébastien).

L'AN DEUX MILLE QUATRE CENT QUARANTE. Rêve s'il en fût jamais ; suivi de L'HOMME DE FER, SONGE. [Ex.] Le présent est gros de l'avenir. Leibnitz. Nouvelle édition avec figures.

1791, S.l.n.n.

3 tomes reliés en 2 volumes, de 220, 212 et 184 pages. 3 frontispices gravés non signés.


Relié à la suite :

BOESNIER DE L'ORME (Paul).

Essai sur les principes de la morale naturelle. Par M. Boesnier de l'Orme.

A Blois, chez Jean-François Billault, imprimeur, et se trouve à Paris, chez Onfroy, libraire, 1792

(4)-XII-192 pages.

Edition originale très rare.

Reliure strictement de l'époque pleine basane fauve marbrée à l'acide, dos lisses avec filets à froid, pièce de titre rose, pièce de tomaison verte. Frottements et usures sur les coupes et aux coins, intérieur frais. Quelques nuances de ton dans le papier de l'An 2440. Rares rousseurs.














L’An 2440, rêve s’il en fut jamais est un roman publié par Louis-Sébastien Mercier en 1771. Il peut être considéré comme le premier roman d'anticipation dans lequel on retrouve le programme de la philosophie des Lumières. Il s'agit de la première utopie qui se situe ailleurs dans le temps, et non plus sur une autre Terre. Il exprime le contraste entre le système de l’absolutisme et une société libre, quoique encore sous la gouverne d’un roi, où le mérite personnel a remplacé les privilèges héréditaires. Ce texte, dont le plan de rédaction reprend fondamentalement l’organisation qui préside à la création du Tableau de Paris de chaque sujet précis en chapitre particulier, est, par-dessus tout, une critique virulente des tares de la société contemporaine. Voulant profondément le bien-être de ses concitoyens, l’auteur se sert de ce roman d’anticipation comme lieu de dénonciation des abus dans l’espoir que les dirigeants en place oseront effectuer les changements nécessaires à la félicité humaine. Mercier critique le fait que le roi ne s’occupe pas suffisamment du peuple. Il s’occupe du palais, des fêtes, des monuments et de la splendeur, au lieu d’améliorer les conditions de vie du peuple et de l’éclairer. La morale : « les monuments de l’orgueil sont fragiles ». Le narrateur, après une discussion avec un Anglais, qui lui montre toutes les tares de la société française en ce dernier tiers des Lumières (1770, sous le règne de Louis XV), s’endort et se réveille, après avoir dormi six cent soixante-dix ans, en 2440 au milieu d’une société bien des fois renouvelée dans une France telle que son imagination pourrait la désirer, libérée par une révolution paisible et heureuse. L’oppression, les abus ont disparu ; la raison, les lumières, la justice règnent. Tout le roman montre ce Paris renouvelé et se termine sur une scène où le narrateur va à Versailles et retrouve le château en ruine où il rencontre un vieillard qui n'est nul autre que Louis XIV : le vieux roi pleure, miné par la culpabilité. Un serpent, tapi dans les ruines, mord le narrateur qui se réveille. Plusieurs de ses prophéties se réalisèrent du vivant de Mercier qui put dire, par la suite, en parlant de l’An 2440, quoiqu’il ne crût guère au succès d’un mouvement politique avant 1789 : « C’est dans ce livre que j’ai mis au jour et sans équivoque une prédiction qui embrassait tous les changements possibles depuis la destruction des parlements jusqu'à l’adoption des chapeaux ronds. Je suis donc le véritable prophète de la révolution et je le dis sans orgueil. » Ce texte ayant connu trois versions (1771, 1786 et 1799), certains des ajouts de Mercier (principalement des notes en bas de page) montrent un auteur satisfait de préciser que tel abus a cessé depuis la première publication de son uchronie.

Notre édition de 1791 reprend le texte de 1786 avec les frontispices qui lui appartiennent également. 

Cette édition de 1791 est peu commune.







L'Essai sur les principes de la morale naturelle de Boesnier de L'Orme qui est relié à la suite de L'An 2440, est un texte rare. Très peu d'exemplaires sont référencés. Ce volume de 193 pages a été imprimé à Blois par l'imprimeur Jean-François Billault tout juste installé dans la ville (sollicité par le directoire du département de Loir-et-Cher de venir s'établir à Blois).

Le Mercure de France fait une analyse de cet ouvrage en ces termes : "C'est le produit des réflexions d'un philosophe solitaire, studieux, ami des hommes, qui a voulu se rendre compte lui-même de ses idées sur le principe de nos devoirs et sur leurs conséquences dans la vie privée et dans l'ordre politique. La nature de son sujet est telle qu'il n'était guère possible de ne pas se rencontrer souvent avec les autres moralistes qui l'ont précédé ; mais il a su faire un tout, classer les objets et poser des résultats. Son style clair et simple est animé de cette espère d'intérêt que répand sur ses écrits un homme de bien qui sent vivement le désir d'être utile, voudrait faire aimer la vertu comme il l'aime, et nous faire profiter de son expérience et de ses réflexions. [...]"

Le plan de l'Essai sur les principes de la morale naturelle est le suivant : Section I : des facultés de l'homme. Section II : des loix naturelles. Section III : Des dispositions naturelles des hommes par rapport à la morale. Section IV : Des différentes causes des vices et des crimes des hommes. Section V : Examen particulier des principales passions. Section VI : De deux moyens importants à employer pour perfectionner la pratique de la morale.

Paul Boesnier de l'Orme (1724-1793) est plus connu pour son ouvrage intitulé De l'esprit du gouvernement économique (coté 4500 euros en reliure d'époque - librairie 2021) publié en 1775 mais rédigé bien avant cette date. Les vues qu'il exprimait dans cet ouvrage sont neuves et intéressantes et seront pourtant rapidement éclipsées par celles données peu de temps après par Adam Smith (qu'il n'avait pas copié).



Boesnier de l'Orme était attaché à la ville de Blois où il remplissait les fonctions de maître particulier des eaux et forêts. Il fut quelques années maire de la ville qu'il quitta pour se livrer à son goût pour l'étude. Paris puis des voyages en Allemagne le mirent en rapport avec de nombreux savants. On lit dans l'Histoire de Blois (volume 2, p. 579) que Boesnier de l'Orme vit avec douleur les premiers excès d'une révolution qu'il avait d'abord admirée. Il mourut sans alliance et sans descendance en 1793. Il aurait donné un autre ouvrage intitulé Du rétablissement de l'impôt dans on ordre naturel (1769, Yverdon - coté 7500 euros en reliure moderne - librairie novembre 2021). Ses ouvrages sont très estimés et cotés. Son Essai sur les principes de la morale naturelle (1792) est l'un des plus rares d'après nos recherches dans les différents fonds publics et privés consultés.

Il est intéressant de constater que l'Essai sur les principes de la morale naturelle se trouve relié à l'époque à la suite de L'An 2440 rêve s'il en fut jamais de Louis-Sébastien Mercier. Ces deux textes, en pleine période révolutionnaire et de grands bouleversements d'idéaux, se répondant l'un l'autre avec bonheur.

Si le premier ouvrage L'An 2440 est bien connu et l'un des best-seller de la fin du XVIIIe siècle, l'ouvrage relié à sa suite dans le présent exemplaire est quant à lui beaucoup plus rare et très peu connu des bibliophiles.

Bel ensemble d'un grand classique de l'utopie allié à un texte très rare proche de l'école physiocratique.

Prix : 3.500 euros