[Henri LE MAIRE ou LEMAIRE (de son vrai nom JEANMAIRE, de NANCY).].
Le Gil-Blas françois ou Aventures de Henri Lançon, écrites par lui-même.
Paris, 1790 [imprimerie de Manget ? Genève ?]
3 volumes petits in-8 (17 x 10,5 cm) de (2)-330, 335 et 321-(3) pages.
Reliure strictement de l'époque pleine basane fauve racinée, dos lisse ornés à la grotesque (roulette grecque répétée), pièce de titre de maroquin rouge, pièces de tomaison ovale de maroquin rouge, tranches citron, doublures et gardes de papier marbré caillouté. Excellent état de conservation de la reliure (infimes frottements), intérieur très frais, sans rousseurs.
Edition originale rare.
Cette première édition a paru sous le voile de l'anonymat. Le nom de l'auteur, M. Le Maire, de Nancy, apparaît sur l'édition de 1791. Cet ouvrage connut un très grand succès, pour preuve le nombre important d'éditions qui suivirent et les traductions qui en ont été faites en anglais (1793) et en suédois même.
Henri Jeanmaire, dit Lemaire ou Le Maire, était un publiciste né à Nancy en 1756 et mort à Francfort en 1808. Il s'établit en Allemagne et y dirigea pendant de longues années la Gazette de Francfort à laquelle il imprima une allure francophile nettement caractérisée. Il a laissé quelques romans : le Gil-Blas français (1790) qui eut un succès considérable et fut traduit en plusieurs langues ; Virginie Belmort ; Rosine ou le Pas dangereux ; le Pauvre Rentier ; le Conscrit ou le Billet de logement.
Qui a lu aujourd'hui le Gil-Blas françois ? Bien peu de monde. Que penser de cette imitation du Gil-Blas de Santillane de Lesage (1715-1735) ? C'est chez notre collègue et ami Pierre Brillard qu'il faut aller chercher une (la seule) note de lecture digne de ce nom. En souvenir de cet éminent confrère et ami, que nous imaginons encore lire consciencieusement et tranquillement installé dans son cabanon du fond du jardin, nous donnons in extenso ses impressions sur ce texte qui est loin d'être sans intérêt : "Alors, de quoi parlent ces trois volumes ? Il s'agit d'une auto-biographie ou d'une biographie romancée écrite par M. Le Maire de Nancy. La part belle est donnée aux aventures féminines, surtout dans la première partie, où le héros déflore à tour de bras, pourrais-je dire. D'opulentes poitrines laiteuses, d'agréables mignardises ou une petite scène de lutinage sous anesthésie s'offrent à notre imagination débridée. Voilà qui mettra le lecteur en émoi à l'égal des mémoires libertines de Casanova ! La suite du récit nous conte de glorieuses aventures en mer et sur tous les territoires du globe, un peu à la façon d'un voyage de Cook qui aurait embarqué la Marquise des Anges... Mi-capitaine Fracasse, mi-Casanova, le héros nous tient en haleine tout au long de ses aventures. Il retrouvera la raison en fin d'ouvrage puisqu'un somptueux mariage et de belles retrouvailles clôtureront son aventure." (Pierre Brillard, Librairie ancienne et autres trésors, en ligne, juin 2012).
Pierre Brillard avait bien raison lorsqu'il écrivait que l'auteur nous tient en haleine tout au long de ses aventures. Entre les histoires d'amour champêtres, les meurtres, les voleurs, les voyages en mer, les scènes libertines et les autres, l'auteur intercale aussi quelques pensées vertueuses ou tout au moins d'une belle lucidité.
Pour donner une idée du texte et du style voici un passage que nous avons relevé. Le héros, Henri Lançon, âgé de 20 ans, se retrouve un peu malgré lui mais de son propre choix en compagnie de voleurs qui habitent dans une grotte dans laquelle ils se retrouvent et conservent leur butin. Un compagnon d'infortune du héros du roman s'exprime en ces termes : "Voilà près d'un an que je suis ici, et je vous jure que je n'ai pas eu un instant de chagrin ; il en est de même de tous mes confrères ; nous vivons dans l'abandon ; il est vrai que c'est aux dépens de nos semblables ; mais est-il quelqu'un dans ce monde qui ne soit guidé par son intérêt personnel, et qui ne cherche à fonder sa fortune sur les ruines de celle d'autrui ? La seule différence, selon moi, consiste dans les moyens ; ceux que nous employons sont, je l'avoue, un peu violents ; mais pourquoi le sort nous y-a-t-il réduits ? pourquoi cette injuste inégalité qui règne entre les hommes, nous a-t-elle mis dans la nécessité de nous procurer par la force des biens auxquels nous avons autant de droits que ceux qui les possèdent ? la plus parfaite union règne entre nous ; nous nous regardons tous comme frères, et comme nous partageons tous également le péril, chacun a le même droit aux prises ; elles sont déposées dans un endroit destiné à cet effet, et lorsque nous aurons amassé assez de richesses pour pouvoir jouir de toutes les commodités qu'une fortune injuste nous a refusées, nous en ferons un partage égal, et chacun se retirera où il voudra. Nous avons un chef, parce que toute société a besoin de quelqu'un qui en dirige tous les mouvements, et qui mette dans l'exécution des projets cette unité si nécessaire au succès de toutes les entreprises : nous courons à la vérité de grands dangers, mais outre que notre retraite est impénétrable aux plus strictes recherches, nous prenons si bien nos précautions, qu'il est presque impossible que nous soyons surpris dans nos expéditions par les suppôts de la justice. D'ailleurs il est beau de mourir les armes à la main, et nous préférons de nous faire tuer sur la place que d'aller servir de spectacle à une foule imbécile en périssant sur l'échafaud." (extrait). Jacques Mesrine aurait pu rédiger ce paragraphe.
Pierre Brillard possédait une édition de Paris, 1791 également en 3 petits volumes au format Cazin. Nous en avons dénombré plusieurs autres. Toutes semblent peu communes.
Notre édition de Paris, 1790 a-t-elle réellement été imprimée à Paris. Nous pouvons en douter. Nous retrouvons cette même édition dans le fonds de l'imprimeur-libraire suisse de Genève G. J. Manget (catalogue de 1797). Il pourrait en effet s'agir d'une impression genevoise.
NDLR : Pour l'avoir lu de bout en bout, le libraire peut vous dire que ces mille pages se dévorent de bout en bout avec le plus grand plaisir. Les livres de bibliophilie se lisent ! Qu'on se le dise ! Et avec d'autant plus de plaisir quand ils sont beaux et méconnus.
Très bel exemplaire finement relié à l'époque de ce livre "au ton très libertin et hautement amoral" (Pierre Brillard) qui mérite pleinement d'être redécouvert.
Prix : 950 euros
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Cette fiche est dédiée à la mémoire de notre ami Pierre Brillard
disparu trop tôt que nous avons eu plaisir à retrouver in memoria
à l'occasion de la rédaction de cette fiche.
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