jeudi 5 janvier 2023

Des droits et des devoirs du citoyen, par Gabriel Bonnot de Mably. Kell, 1789 (texte rédigé en 1758), in-8, broché. Une des toutes premières éditions (posthumes), sinon la première. Bel exemplaire, miraculeusement conservé tel que paru, de ce texte prophétique annonçant avec trente ans d'avance les événements révolutionnaires.


MABLY (Gabriel BONNOT DE).

Des droits et des devoirs du citoyen. Par M. l'Abbé de Mabli.

A Kell, 1789

1 volume petit in-8 (18 x 11,5 cm), broché de 316 pages. Couverture d'époque en papier gris épais avec titre à l'encre au dos. Volume non rogné, tel que paru. Légères usures au dos du brochage, sans gravité. Intérieur très frais. Etiquette de classement manuscrite collée sur le premier plat (ancienne).

Une des toutes premières éditions, sinon la première.








Gabriel Bonnot de Mably (1709-1785) était le frère de Condillac, plus connu que lui, bien qu'aujourd'hui les deux aient bien du mal à rester ancré dans la mémoire collective. Et pourtant ! Bonnot de Mably fut l'un des penseurs précurseurs des idées révolutionnaires. Des droits et des devoirs du citoyen fut rédigé en 1758. En 1746 il avait publié à l'étranger Le Droit public de l'Europe fondé sur les Traités, manuel d'histoire diplomatique à l'usage des hommes d'état, ouvrage qui contenait déjà une critique de la politique de Louis XIV et des propos sévères pour le despotisme. Grâce à la protection du marquis d'Argenson, l'ouvrage paru en France en 1748 et devint rapidement un succès européen. Brouillé avec le cardinal de Tencin, Mably quitta alors définitivement le service du roi pour mener une vie retirée consacrée à l'étude de la politique, du droit, de l'histoire et de la morale. Ces études théoriques, mais aussi observation vigilante des événements contemporains, se retrouvent dans l'ouvrage Des droits et des devoirs du citoyen. Dans cet ouvrage audacieux il n'est plus question de donner des conseils aux rois, mais à ceux qui veulent les renverser. En 1746 Mably non seulement acceptait le régime, mais le servait. Douze ans plus tard, en 1758, il songe à l'abattre. Ce changement de cap dans la pensée politique de Mably est sans aucun doute lié à la situation politique de la France. En 1758, la monarchie est malade et toutes sortes de bons esprits constatent que le régime ne peut plus durer longtemps tel qu'il est. La crise financière est à peu près permanente depuis la fin du règne de Louis XIV. Elle tient principalement à la structure sociale : les privilégiés font retomber sur le peuple tout le poids des impôts. A plusieurs reprises le roi Louis XV traverse Paris et y trouve une foule qui refuse de crier "Vive le roi". Le peuple gronde, l'état s'engage dans une politique de répression, des ouvrages sont condamnés (l'Encyclopédie, De l'Esprit d'Helvétius), etc.). Les Des droits et des devoirs du citoyen se présentent sous la forme de lettres relatant un dialogue. Mably a souvent employé cette forme reprise des dialogues antiques (Cicéron, Platon). L'ouvrage peut être divisé en trois sections malgré le découpage épistolaire qui brouille les cartes : Premièrement : Les citoyens ont-ils le droit et le devoir de faire une révolution ? Deuxièmement : Quels moyens ont-ils de la déclencher ? Troisièmement : Une fois la liberté obtenue, comment l'affermir ? Le livre part d'une réflexion sur Marly, symbole du luxe royal, qui est lié à la misère du peuple. L'échange entre les deux intervenants est vif et passionné. Chacun relève les droits et les devoirs du citoyen dans un régime tel que celui de la France en 1758. Affirmations et interrogations se succèdent : Ne sommes-nous pas trop corrompus pour retrouver la liberté ? Jamais aucun peuple n'a pu conserver sa liberté : Quel espoir reste-t-il donc ? Mably est proche des idées que développera Rousseau très peu de temps après. Tous deux fondent la politique sur la morale. Mais Mably est plus radical, il montredans cet ouvrage un courage politique qui à juste titre a impressionné les hommes de la révolution. Les Droits et Devoirs sont le premier ouvrage où Mably expose une thèse communiste. Pour Mylord (l'interlocuteur des dialogues), la propriété des biens est la source des malheurs de l'homme. De là sortent l'inégalité, l'esclavage et le despotisme. Mably meurt en 1785. Des droits et des devoirs du citoyen ne sera publié qu'à titre posthume au début de l'année 1789. Annoncé dans la Correspondance littéraire en février ou mars. Le Mercure l'annonce début septembre. Mably décrivait avec trente ans d'avance les événements révolutionnaires à venir. Mably fut mis, avec ses ouvrages, sur le devant de la scène révolutionnaire et parlementaire des premières années de la révolution. Puis on l'oublia.









Cet ouvrage connut un succès indéniable et on compte plus de trois éditions la même année 1789. Il y a une édition de Kell en 367 pages, une autre à Kell également en 245 pages, et une édition de Paris et Lausanne chez François Lacombe en 367 pages. Ce sont les éditions relevées par Jean-Louis Lecercle et présentes à la Bibliothèque nationale de France. Notre édition en 316 pages au format in-8 (et non in-12) en est donc encore une autre. Il y aura encore des éditions en 1791, 1793 et 1797. Jean-Louis Lecercle donne l'édition de Kelle en 367 pages comme étant la première parue. Quid de notre édition de Kell en 316 pages au format in-8, non citée par cet auteur ? Elle pourrait bien être la première émission de ce texte. L'étude reste à faire.

Référence : Le résumé ci-dessus est tiré de l'édition critique avec introduction et notes par Jean-Louis Lecercle, Gabriel Bonnot de Mably, Des Droits et des Devoirs du Citoyen. Paris, Librairie Marcel Didier, 1972, pp. IX à L.

Bel exemplaire, miraculeusement conservé tel que paru, de ce texte prophétique.

Prix : 1.150 euros