[Rétif de la Bretonne] [Restif de la Bretone]
Monument du Costume Physique et Moral, de la fin du dix-huitième siècle ou Tableaux de la Vie.
A Londres, L'an M. DCC. XIII [ie. 1793]
2 volumes in-8 (16,3 x 10,5 cm) de (2)-XII-185 et (2)-162 pages. Avec 2 fronstipices gravés par T. Holloway et J. Heath et 24 figures hors-texte gravées à l'eau-forte et légendées en français et en anglais (portant sous la gravure : London Publish'd as the Acts directs (for the proprietors) by W. Hinton Horse Shoe court Ludgate Hill August 1792).
Reliure strictement de l'époque plein veau brun moucheté à l'acide, dos lisse orné, pièces de titre de maroquin rouge, pièces de tomaison de maroquin vert, roulette dorée en encadrement des plats, doublures et gardes de papier marbré, tranches rouges (reliure anglaise très probablement). Coins émoussés, dos frottés, quelques marques aux plats, intérieur frais (légère décharge en regard des figures). Collationné complet.
Cette édition portant la date de 1793 (le premier volume a été daté par erreur 1713) est en réalité l'édition de 1790 (à Londres, chez C. Dilly, Poultry). Cette édition de 1790 a paru avec seulement les 2 frontispices d'après T. Holloway et J. Heath. Les 24 figures présentent dans notre exemplaire n'ayant été réalisées qu'au mois d'août 1792 comme l'indique la légende gravée sous chaque estampe. Il s'agit donc en réalité d'une remise en vente des exemplaires invendus de l'édition de 1790 avec les 24 estampes nouvellement gravées et illustrant le texte de Rétif de la Bretonne.
L'Avis de l'éditeur est intéressant est mérite d'être reproduit ici : "La fin du dix-huitième siècle sera l'une des époques les plus remarquables de l'histoire. La révolution qui s'est faite dans les idées et dans les usages, est digne d'exercer les pinceaux des Théophraste et des La Bruyère. C'est d'après ces modèles qu'est rédigé l'Ouvrage dont nous faisons l'hommage au Public. Il est orné de gravures qui présentent divers événements de la vie de societé. Elles sont l'ouvrage des artistes de notre tems (dans l'édition originaire de cet ouvrage, on a embelli chaque histoire d'une estampe intéressante, dessinée et gravée par M. Moreau le jeune, dessinateur du Cabinet de S. M. T. C. et par d'autres artistes célèbres. Le libraire qui présente au Public cette édition, a choisi deux de ces estampes, qu'il a fait graver par M. Heath ; et il en a placé une à la tête de chaque volume.). Les faits employés dans la plupart des traits relatifs à chaque estampe, remplissent d'autant mieux le titre de Costume Moral, que l'auteur (M. Rét. de la B.) s'est attaché à les prendre dans la vérité. On sait qu'aun homme de lettres n'a plus observé, n'a recueilli plus de traits frappans dans l'histoire privée de toutes les classes de la société. Ces traits peignent la façon de penser et d'agir du siècle ; ils en sont l'histoire morale, et se trouvent si heureusement adaptés à l'estampe, quoiqu'elle ne soit qu'une conception générale, qu'ils y cadrent comme si elle avait été dessinée fur l'événement. Rien n'est si beau que le vrai ... dit Boileau.
Les deux volumes suivent le texte de Rétif de la Bretonne pour peu qu'il soit entièrement de lui, tel que publié en 1789 à Neuwied. On y trouve ainsi les 26 Tableaux de la Vie ou "Différentes situations où peuvent se trouver les deux sexes, dans le cours ordinaire de la vie" : La Déclaration de grossesse - Les Précautions - l'Heureux Augure ou le Présage accepté - N'ayez pas peur, ma bonne amie - C'est un Fils, Monsieur ! - Les Petits Parains - Les Délices de la Maternité - l'Accord parfait - Marli - Les Adieux - La Promenade du Bois de Boulogne - La Dame du Palais - Le Lever de Monsieur - La Petite Toilette - La Grande Toilette - La Matinée - La Course de Chevaux - Le Pari gagné - La Partie de Wisch - Oui ou Non ! - La Surprise - La Petite Loge - La Sortie de l'Opéra - Le Souper fin - Le Seigneur chez son Fermier - Le vrai Bonheur.
Restif nous révèle, dans Monsieur Nicolas (Tome XI, p. 155-156), la source de ces anecdotes : "J'allais chez la comtesse [de Beauharnais] tous les vendredis soir ... A minuit un quart, on revenait dans le salon ... C'était le temps des lectures, qui duraient ordinairement jusqu'à trois heures... C'est après trois heures que le marquis de la Grange, ex officier des mousquetaires, nous racontait les anecdotes des deux cours de Louis XV et de Louis XVI. Ce n'était pas un génie que cet homme, mais il avait une excellente mémoire ! J'ai profité de ces anecdotes du vieil officier [...]" Ecrivant, le 12 août 1792, à Grimod de la Reynière, Restif nous donne encore quelques détails à propos des Tableaux de la vie : "Je n'ai rien publié depuis le Thesmographe ... Cependant les Tableaux de la vie sont de moi, mais une main étrangère y a touché, les a corrigés, arrangés, aplatis, en les imprimant à Neuwied" (Drame de la vie, V, p. 1341).
Rives Childs (XXXIX, pp. 315-318) donne la nouvelle distribution du texte dans cette édition. "En rédigeant les Tableaux de la vie, Restif a fait une nouvelle distribution du texte du Monument du costume. Rives Childs constate que les morceaux des Tableaux de la vie qui n'ont pas de contrepartie dans le Monument du costume ne sont pas de Rétif de la Bretonne (il y en a 17). Par ailleurs Rives Childs a retrouvé plusieurs morceaux de Rétif de la Bretonne qui sont à la fois dans le Monument du costume et dans l'Année des dames nationales. "Le 14 juillet [1789], dit Restif, je m'étais levé tard, pour achever les Tableaux de la vie, que j'envoyais à New-Wied" (Nuits de Paris, tome XV, p. 66) "J'y fais entrer [dans l'Année des dames nationales] tous les traits qui m'appartiennent dans les Tableaux de la vie, imprimés à Neuwied ; et comme cet ouvrage n'est pas entièrement de moi, je ne le place pas dans mon catalogue [...]" (Mes ouvrages, p. 163-164)
Notre édition passe pour une contrefaçon anglaise du Monument du Costume publié en 1789. Les figures ont été copiées sur les figures Moreau de l'édition in-folio de Neuwied, mais travesties à l'anglaise. S'il arrive de trouver des exemplaires à la date de 1790 avec cette suite de figures gravées seulement en 1792, elles n'étaient pas prévues pour cette édition à cette date, d'où la réimpression de titres portant la date de 1793.
Il semble que Rétif n'ait eu aucune part à cette contrefaçon anglaise contre laquelle il a sans doute pourtant dû pester comme à son habitude.
Références : Cohen, Guide l'amateur de livres à figures du XVIIIe siècle, col. 506 (éd. 1886) qui indique que les exemplaires avec la date de 1793 et la suite complète des 26 figures cote 3 à 4 fois plus que l'édition de 1790 avec seulement les 2 frontispices. Cohen indique que si cette édition est sans mérite artistique (on lui laisse la responsabilité de son jugement), elle est rare en France. Il indique un exemplaire adjugé 150 francs à la vente Bachelin en 1874. ; Lewine, Bibliography of Eighteenth Century Art and Illustrated Books : Being a Guide, p. 461 ; Lacroix, Bibliographie de Rétif de la Bretonne, p. 331, n°2 et 3 (Lacroix qui semble n'avoir pas eu en mains un exemplaire avec les titres à la date de 1793 sinon il n'indiquerait pas qu'il s'agit d'une deuxième contrefaçon anglaise, puisqu'il s'agit, comme nous l'avons écrit, du même tirage que celui de 1790 à l'exception des titres refaits et de la suite de 24 gravures gravées en 1792). Lacroix pensait qu'il existait un tirage en anglais de cette édition mais visiblement il n'existe pas. Lacroix insiste sur le fait que cette suite de gravures a été faite "grossièrement, maladroitement, sans esprit et sans talent."
Il n'y a actuellement (28 janvier 2025) aucun exemplaire sur le marché.
Bon exemplaire en condition d'époque de cette édition illustrée qui a le mérite de sa rareté et doit à ce titre figurer dans une collection rétivienne complète.
Prix : 2.500 euros