Alfred JARRY | Géo A. Drains, illustrateur
GESTES suivis des PARALIPOMENES D'UBU.
Aux Editions du "Sagittaire" chez Simon Kra, 1920 (achevé d'imprimer le 22 février 1921 par Ducros, Lefèvre et Colas à Paris)
1 volume in-12 carré (16,5 x 16 cm) en feuilles sous couverture imprimée (cartouche de titre en rouge et or sur le premier plat). 158 pages et 1 feuillet de justification du tirage, avec 7 eaux-fortes ici en 2 états (sanguine ou bistre et noir) dont un frontispice aquarellé à la main. Décors en noir et rouge dans les marges. Complet. Très bon état. Le dos de la couverture avec de légers accrocs en tête.
Edition originale et unique tirage des compositions de Géo A. Drains.
Tirage à 1040 exemplaires.
Celui-ci, un des rarissimes exemplaires de tête sur Japon tirés à 10 avec les 7 eaux-fortes en deux états (les deux états sont tirés sur Japon).
Il a été tiré par ailleurs 50 autres exemplaires sur Japon mais avec la suite sur Chine (2eme papier) et 1000 exemplaires sur Hollande (et 40 exemplaires hors commerce numérotés à la main).
Notre exemplaire est numéroté 10 (sur 10) au composteur.
Contrairement à ce qui est annoncé dans la justification les 10 premiers exemplaires sur Japon (notre exemplaire) ne sont pas ornés marginalement de dessins originaux de l'artiste, et ce pour la bonne raison que le choix a été fait de les imprimer en noir et rouge comme pour les autres exemplaires.
"Étonnante, exubérante illustration 1920, très animée, tour à tour cruelle, humoristique, libertine, fantastique : un Gus Bofa qui aurait fait ses classes chez Rops" (Librairie Huret)
Edition donnée en 1920 par le jeune André Malraux (19 ans) qui devient directeur littéraire chez Simon Kra. Il y côtoie notamment Jean Cocteau, Paul Morand, Raymond Radiguet, Pierre Reverdy, André Salmon, André Suarès, André Derain, Léger et Vlaminck. Il livre des articles pour la revue Action, de Florent Fels. Simon Kra, libraire, lui confie la direction artistique des Éditions du Sagittaire.
Ce charmant volume contient les textes suivants : Le Nouveau Microbe - Battre les Femmes - Les Piétons Ecraseurs - Accidents de Chemins de fer - La Société Protectrice des Enfats Martyrs - La Suppression du Sabre - Les Fusils transformés - L'Appendice du Roi - Appendice à l'Appendice - Les Pauvres des Gares - Le Tueur de Femmes - Les Paralipomènes d'Ubu.
Ces textes datent de l'année 1902. En janvier 1902 Alfred Jarry (mort en 1907 à l'âge de 34 ans) explique ce que seront les Gestes : "C’est une étrange partialité que de consacrer dans les journaux et revues un grand nombre de pages, voire toutes les pages, à enregistrer, critiquer ou glorifier les manifestations de l’esprit humain : cela équivaut à ne tenir compte que de l’activité d’un organe arbitrairement choisi entre tous les organes, le cerveau. Il n’y a pas de raison pour ne point étudier aussi copieusement le fonctionnement de l’estomac ou du pancréas, par exemple, ou les gestes de n’importe quel membre. À peine devons-nous reconnaître que quelque rubrique « Sport » se tapit à la dernière page des quotidiens, et que quatre-vingtdix-neuf sur cent – mais pas plus ! – de nos romans sont exclusivement réservés à exploiter la sollicitude de l’homme à l’égard de son appareil reproducteur. Sous le titre « Gestes » on trouvera désormais dans cette Revue, par nos soins, des commentaires sur toute espèce de spectacles plastiques. Ceux-ci sont si variés qu’il serait long d’en limiter le programme. [...] Tous ces gestes et même tous les gestes, sont à un degré égal esthétiques, et nous y attacherons une même importance." (extrait de Barnum par Alfred Jarry).
Les Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, Pataphysicien et les Paralipomènes d'Alfred Jarry constituent des œuvres centrales dans l'élaboration de la pensée et de l'esthétique jarryenne, notamment dans le cadre de la Pataphysique, cette "science des solutions imaginaires". La Pataphysique est définie comme la "science des solutions imaginaires" qui étudie les lois régissant les exceptions et attribue symboliquement aux phénomènes des propriétés qu'ils n'ont que dans leur virtualité. Elle parodie et dépasse la logique rationnelle en explorant l'absurde, le décalé et l'infini potentiel des interprétations, se présentant comme une anti-science ludique et poétique.
On sait très peu de choses de l'artiste qui signe et qui est annoncé sour le nom de Géo A. Drains. Il est indiqué à plusieurs reprises dans diverses publications qu'il serait d'origine belge. On sait qu'il illustra Les Complaintes de Jules Laforgue de 128 lithographies étonnantes pour la plupart (également publié chez Simon Kra, Le Sagittaire, 1923, probablement publié par les soins d'André Malraux également). Dans le domaine curiosa il a donné sous le pseudonyme de Couperyn une illustration libre pour "Le Bordel de Venise" du marquis de Sade (1921, Simon Kra également). De toute état de cause, Géo A. Drains semble fermement attaché à cet éditeur. Dans le cas des Gestes il est très étonnant de ne pas voir son nom imprimé sur la page de titre et qu'il ne soit mentionné que dans le justificatif du tirage à la fin du volume. Géo A. Drains reste un mystère. Nous avons retrouvé la trace d'une gouache originale signée Géo A. Drains et datée 1921. Cette gouache a été offerte à André Malraux par Marcelle Drains (épouse de Géo A. Drains ?) avec ces mots : "A Monsieur André MALRAUX en témoignage de toute la sympathie qu'avait pour lui Georges." Nous avons également l'adresse de l'artiste et son nom complet : Georges Alexandre Drains, 10 Square Desaix, Paris. (ces mots laissent supposer que Géo A. Drains est décédé, sans doute assez prématurément, ce qui expliquerait sa très courte carrière et sa faible production). Personne à notre connaissance ne s'est risqué à en dire plus sur cet illustrateur de grand talent à la carrière semble-t-il très courte, conscrite aux années 1920-1923. Selon une notice du marché de l'art Georges Alexandra Drains serait né en 1893 et mort en 1921 à l'âge de 28 ans.
Le 28 mai 1906, Jarry écrit à Rachilde : « (Le Père Ubu - Alfred Jarry lui-même) n’a aucune tare ni au foie, ni au cœur, ni aux reins, pas même dans les urines ! Il est épuisé, simplement et sa chaudière ne va pas éclater mais s’éteindre. Il va s’arrêter tout doucement, comme un moteur fourbu. » Épuisé, malade, harcelé par ses créanciers, malgré l'aide financière d'Octave Mirbeau et de Thadée Natanson, Jarry fait des allers et retours entre Paris et Laval. Dans cette dernière ville, on lui administre les derniers sacrements et il rédige lui même son faire-part. Il meurt célibataire d'une méningite tuberculeuse six mois plus tard, le 1er novembre 1907 à 4 heures et quart du soir, à l’hôpital de la Charité, à Paris, plus exactement au 47 rue Jacob. Comme dernière volonté, il demande un cure-dent. S’identifiant à son personnage et faisant triompher le principe de plaisir sur celui de réalité, Jarry a vécu comme il lui plaisait avec ses trois attributs : la bicyclette, le revolver et l’absinthe. Il leur sacrifiera la respectabilité et le confort. Dans une petite baraque proche d’une rivière, à côté d’un lit-divan, Rabelais composait l’essentiel de sa bibliothèque. L’humour lui a permis d’accéder à une liberté supérieure.
Très beau livre ici dans son tirage le plus rare avec double état sur Japon des eaux-fortes.
Rareté bibliophilique qui mérite les honneurs d'une reliure de grand luxe.
Prix : 3.500 euros