Emile SOUVESTRE. BERTALL, PENGUILLY, SAINT-GERMAIN (illustrateurs).
Le monde tel qu'il sera, par Emile Souvestre, illustré par MM. Bertall, O. Penguilly et St-Germain.
Edité par W. Coquebert, Paris, s. d. (1846) [Paris, typographie Schneider et Langrand].
1 volume in-8 (23,5 x 16 m) de (4)-324 page. 10 gravures sur bois hors-texte et nombreuses vignettes dans le texte par Bertall, O, Penguilly et St-Germain.
Reliure de l'époque demi-chagrin vert sombre, plats de papier vert sombre chagriné. Plats légèrement frottés, quelques traces de recoloration aux coiffes et sur les coupes. Intérieur avec les hors-textes brunis comme toujours, des rousseurs plus marquées aux derniers feuillets.
Edition originale.
En 1840, un jeune couple parisien, Marthe et Maurice, fortement épris, heureux et idéalistes, s’interrogent sur l’avenir du monde. Ils souhaitent ardemment connaître le futur, vérifier si les rêves qu’ils font se réaliseront. Sans trop y croire, Marthe en vient à invoquer le génie protecteur de leur époque. Surgit alors, à bord d'une « locomotive anglaise », un curieux petit homme ressemblant à « un banquier compliqué d'un notaire ». Il s'agit de M. John Progrès, qui propose d'endormir les tourtereaux pour leur permettre de découvrir le monde de l'an 3000.
Proposant un récit d'anticipation qui se situe en l'an 3000, le roman apparaît comme la première dystopie française. Volontiers caricatural, ironique, anachronique, décalé, ce roman est riche d’enseignements sur l’image que l’on peut se faire du futur au milieu du XIXe siècle. L'auteur est très influencé par les doctrines fouriériste et saint-simonienne prônant l'égalitarisme, ici moqué. Préfigurant le genre du roman scientifique à la Jules Verne, Émile Souvestre est l’un des premiers auteurs à imaginer les effets négatifs possibles du progrès dans le cadre d’un roman dans lequel individualisme et enrichissement personnel sont exacerbés.
Souvestre est l’un des premiers « anticipateurs à avoir tenté de prévoir l’avenir dans tous les détails, en montrant tous les mauvais côtés qu’il devra au développement de la technique ». Pierre Versins, « Émile Souvestre », in Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1972, p. 822‑823.
« Chez Souvestre, dans Le Monde tel qu’il sera (1846), c’est le procédé plus convenu du voyage temporel par réveil du personnage dans une époque future qui était investi. Marthe et Maurice, un jeune couple parisien du dix-neuvième siècle rêvant à un avenir meilleur pour le genre humain, se réveillent onze siècles plus tard, pour trois jours de découverte d’une civilisation de l’an 3000 qui s’avérera décevante dans sa quête déshumanisante de l’intérêt personnel et de l’efficacité forcenée. Le procédé narratif permet la rétrojection des observations sur un présent dévalué à l’aune de ses effets négatifs possibles. » Valérie Stiénon, « La dystopie française d’Émile Souvestre à Léon Daudet. Petite traversée générique », in Jean-Paul Engélibert et Raphaëlle Guidée (dir.), Utopie et catastrophe. Revers et renaissances de l’utopie (XVIe-XXIe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 115.
"Cette présentation de la société de l’an 3000, avec ses règles complexes et inflexibles, et les inventions qui émaillent le récit, pourrait donner lieu à bien plus de développements, tant les thèmes abordés sont nombreux. Inspirant des générations d’auteurs après lui, Souvestre ouvre, avec Le Monde tel qu’il sera, la voie au « roman scientifique ». Il sera suivi par Verne, Wells, Robida ou encore Rosny, qui imagineront à leur tour des voyages dans le temps et des découvertes, mais également les désillusions possibles qui peuvent accompagner le progrès. 30Souvestre imagine ainsi des appareils volants, sous-marins ou souterrains, une électricité perfectionnée et une télégraphie lunaire, il décrit l’évolution de la presse et de l’enseignement… Certaines choses demeurent pourtant inchangées, comme le daguerréotype, mis en scène à de nombreuses reprises. L’écrivain entraîne ainsi ses lecteurs dans un monde futur fictif, dans lequel certains éléments anachroniques perdurent. Ses chimères sont pour certaines dépassées, tandis que beaucoup d’autres appartiennent encore à notre futur. Mais, qu’elles nous paraissent archaïques ou au contraire teintées de réalisme, elles nous invitent à nous interroger sur notre société et son évolution. En ce sens, la République des Intérêts-Unis, avec l’individualisme exacerbé et l’urbanisme orthogonal qui y règnent, peut aisément préfigurer notre société contemporaine. 31Ce roman d’anticipation est véritablement le récit d’un voyage dans le temps : celui de deux personnages qui ont choisi de se rendre dans l’avenir, espérant y découvrir un monde nouveau et une société tendant vers l’idéal… Ils seront grandement déçus. Sous couvert de nous faire voyager avec eux, Souvestre déploie bien des efforts pour établir une critique du monde et de la société d’alors, ce que Raymond Trousson nomme « une caricature du XIXe siècle ». Il formalise également les angoisses partagées par nombre de ses contemporains à propos du développement fulgurant des techniques diverses, c’est-à-dire des changements en train de se produire et de leurs conséquences possibles sur toutes les dimensions de la société." (in NOÉMIE BOEGLIN, Le Monde tel qu’il sera, un roman oublié, conclusion).
Référence : Noémie Boeglin, « Le Monde tel qu’il sera, un roman oublié », Fabula / Les colloques, L’art, machine à voyager dans le temps, en ligne, page consultée le 29 septembre 2021.
Bel exemplaire en agréable condition d'époque.
VENDU