vendredi 20 novembre 2020

Guy de Maupassant. Pierre et Jean (1888). Première édition illustrée par E. Duez et A. Lynch. Du rare tirage à 50 ex. sur Japon avec triple suite (satin, Japon, vélin) avec remarques. Reliure de l'époque signée Victor Champs.


Guy de Maupassant. Albert Lynch et Ernest Duez (illustrateurs).

Pierre et Jean. Illustré par Ernest Duez et Albert Lynch.

Paris, Boussod, Valadon et Cie, 1888

1 volume grand in-4 (33 x 27 cm) de 170-(1) pages. 18 hors-texte par Albert Lynch et 18 en-tête et culs-de-lampe par Ernest Duez.

Reliure demi-maroquin chocolat à larges coins, dos à nerfs janséniste. Auteur, titre et millésime dorés au dos, tête dorée. Couvertures conservées en parfait état (les deux plats et le dos). Reliure strictement de l'époque signée Victor CHAMPS. Quelques légers frottements sur les coins et coupes. Reliure fraîche. Intérieur très frais. Quelques rousseurs presque uniquement au verso des tirages sur satin contrecollés sur vélin fort.



Première édition illustrée.

Edition de grand luxe tirée à 50 exemplaires sur Japon avec 3 suites de toutes les illustrations (sur satin en bleu, sur Japon en bistre et sur Whatman en mauve) avec remarques. Les illustrations définitives tirées sur Japon dans le texte (E. Duez) et hors-texte (A. Lynch) sont toutes avec remarques.

Avec une grande aquarelle originale signée E. Duez sur le faux-titre (fleurs de pavot).



"Écrit en quelques mois à partir de l’été 1887, Pierre et Jean est le quatrième roman de Maupassant. Il constitue un tournant dans la production romanesque de l’auteur qui verse dans l’analyse psychologique. Prépublié dans La Nouvelle Revue à partir de décembre 1887, il paraît en volume chez Ollendorff, précédé d’une étude sur « Le Roman » (qui ne se trouve pas dans cette édition de luxe). [...] L’intrigue du récit peut paraître banale et est sans doute tirée d’un fait divers : petits boutiquiers parisiens, les Roland se sont retirés au Havre pour profiter de la mer. Leurs fils Pierre, étudiant en médecine, et Jean, futur avocat, viennent les retrouver. L’annonce du décès de Maréchal, un ami de la famille qui lègue tout son héritage à Jean, va être à l’origine d’un drame familial. Pierre comprend que sa mère a été infidèle et que Jean est le fils de Maréchal. L’aîné étant peu à peu dépossédé de l’amour maternel, de celui de Mme Rosémilly, jeune veuve que Jean épousera, puis de tous les avantages que son statut de fils légitime pourrait laisser supposer, il décide de quitter sa famille pour s’engager sur un paquebot transatlantique. [...] Succès littéraire, les critiques étant unanimes dans l’éloge, Pierre et Jean repose certes sur une intrigue ténue et des thèmes déjà abordés dans les contes et nouvelles, comme la bâtardise, la trahison de la femme, ou les conséquences désastreuses d’un legs dans une famille. Mais le roman vaut pour l’analyse psychologique des personnages et les magnifiques descriptions du Havre et de ses alentours, reflets de l’état d’âme du héros, rendues avec une écriture picturale. Il livre également une étude de mœurs sur la petite bourgeoisie de province. « Roman-drame » selon Jules Lemaitre, ayant le « schéma d’une tragédie antique » pour Paul Bourget, Pierre et Jean est aussi un « roman de mœurs » (Antonia Fonyi) tout autant qu’un roman familial, où la vision pessimiste de Maupassant se fait plus sombre que dans ses précédents livres. Comme la plupart des œuvres de Maupassant, Pierre et Jean connut aussitôt de nombreuses traductions et une fortune artistique importante, avec de multiples adaptations sous différents supports." (À propos de l’œuvre, Noëlle Benhamou, Les Essentiels de la littérature, Bibliothèque nationale de France, 2015).








"La fratrie et la bâtardise occupent une place de choix dans les écrits de Maupassant. « Petit roman » ou « longue nouvelle » de neuf chapitres seulement, Pierre et Jean publié en 1888 aborde donc un sujet rebattu, constituant une structure obsessionnelle de l’œuvre maupassantienne. Le lecteur suit les pensées de Pierre Roland, le fils légitime, aux prises avec une enquête de filiation qui l’exclura de sa famille. Roman psychologique, mais aussi roman de la mer, Pierre et Jean peut se lire comme une réécriture de la parabole du fils prodigue." (Pierre et Jean, Les Essentiels de la littérature, Bibliothèque nationale de France, 2015).



« Le romancier d’analyse, le romancier psychologique naissait donc, dans Pierre et Jean, du romancier observateur et du romancier de mœurs. Aussi la qualité du romancier psychologue comporte-t-elle, en Maupassant, une spécification qui oppose vigoureusement cet auteur à Bourget et à Edmond de Goncourt vieillissant par exemple. Maupassant conçoit et pratique l’analyse psychologique de telle façon qu’elle soit non point une satisfaction gratuite pour l’intelligence ou la subtilité chercheuse du lecteur, mais un moyen pour le progrès même de l’œuvre, l’élément moteur de l’action. Dès l’instant où Pierre cesserait de tendre mille prétextes entre son regard et ses vérités intimes, dès l’instant où, selon une démarche inverse mais complémentaire et nécessaire, il cesserait de s’interroger et de se répondre sincèrement, dès l’instant où les passions cesseraient de solliciter, par leur violence même, son clair jugement, et , en retour, de s’exaspérer dans ce jeu qui fait bon marché de leurs mensonges, le roman s’arrêterait, car les événements qui composent la substance du récit ne sont rien que les moments successifs et les effets immédiats de cette partie de cache-cache avec soi-même. Et, de fait, le roman s’arrête au moment où Pierre, en dépit de tant d’efforts pour le travestir, n’a plus rien à apprendre de sa « seconde âme », et où cette âme instinctive goûte enfin un inavouable assouvissement. Il en résulte, second trait de l’originalité de Maupassant, que l’analyste n’est point l’auteur mais le personnage lui-même. Il demeure de bout en bout son propre témoin, et seul le résultat de son observation est confié au lecteur, comme une sorte de prélèvement opéré au plus vif de sa conscience. » (André Vial, Maupassant et l’art du roman, Paris, Nizet, 1954, p. 404-405.)


On joint à notre exemplaire un feuillet publicitaire paru dans Le Livre pour les étrennes (décembre 1888) donnant le détail de cette luxueuse édition. Les exemplaires ordinaires tirés sur vélin teintés étaient vendus 60 francs quand notre exemplaire sur Japon du tirage à 50 ex. avec 3 suites étaient vendus au prix très élevé de 500 francs l'exemplaire. Il a été fait un tirage sur Japon à 150 ex. avec seulement 2 suites (sans la suite sur satin donc) au prix de 200 francs. La reliure d'amateur était proposée à 20 francs.


Les aquarelles d'Ernest Duez et d'Albert Lynch sont fidèlement reproduites par le procédé héliographique développé par la maison Goupil (maison Boussod et Valadon). Albert Lynch avait commencé dans l'illustration du livre aux côtés d'Octave Uzanne pour La Française du Siècle (1885).


"Les aquarelles, dessinées par Albert Lynch, pour Pierre et Jean, sont des chefs d'œuvre de grâce, d'élégance, de finesse, de distinction et de modernité ; il y a plaisir à suivre les progrès de ce très jeune peintre depuis les compositions faites par lui pour les livres d'Octave Uzanne jusqu'aux incomparables tableaux qu'il vient de signer aujourd'hui. L'ouvrage de Maupassant était cependant assez malaisé à illustrer ; sa psychologie serrée, la passion concentrée dans une âme d'Hamlet moderne, prêtaient peu à la manifestation du peintre ; Albert Lynch a revécu le roman au Havre même, et il est parvenu, après un long labeur, à nous donner cette admirable série de tableaux qui méritent de lui faire un nom consacré dans le monde des artistes et des amateurs. [...] MM. Boussod et Valadon ont fait, avec Pierre et Jean, une œuvre d'art véritable, en dépit même de l'héliogravure qui chagrine tant d'amateurs ; il faut espérer que le succès de ce livre les poussera à nous donner fréquemment des ouvrages de cette rare valeur." (Le Livre, Livres d'étrennes pour 1889, livraison de décembre 1888, p. 626).

Bel exemplaire du tirage le plus rare avec trois suites supplémentaires et une aquarelle originale d'E. Duez, sobrement relié à l'époque par Victor Champs.

Prix : 3.000 euros