jeudi 7 novembre 2019

J.-K. Huysmans. En ménage. 1881. Edition originale reliée à l'époque par Canape. Bel exemplaire finement établi en maroquin.


J.-K. Huysmans.

En ménage.

Paris, G. Charpentier, 1881

1 volume in-18 (19 x 12,5 cm) de 348 pages.

Reliure de l'époque à la bradel signée CANAPE maroquin à larges coins marron, dos lisse, auteur, titre et millésime dorés, tête dorée, non rogné (relié sur brochure), les deux plats de couverture conservés en parfait état. Reliure en superbe état, intérieur très frais, sans rousseurs.

Edition originale sur papier d'édition.

Il n'a été tiré que 10 exemplaires sur Hollande et 2 exemplaires sur Chine.



Voici le compte rendu enthousiaste et sévère donné par Octave Uzanne dans sa revue bibliographique Le Livre, en date du 10 mars 1881 : "Dans la petite chapelle de M. Zola, M. J.-K. Huysmans est un des premiers officiants. S'il suit les traditions du maître, même s'il les exagère, il ne le fait pas aveuglément et apporte dans sa manière une personnalité d'écrivain qu'on ne saurait nier tout en désapprouvant le rendu. - M. Huysmans n'a pas cette puissance de piocheur, cet entraînement de bœuf à la charrue, ce talent même si l'on veut qu'on trouve dans l'oeuvre de M. Zola ; mais, par contre, il a plus de vécu, plus d'idées d'art, plus de jeunesse cahotée, plus de documents sortis de lui-même que l'auteur de Nana. - Il a plus vu qu'on ne lui a fait voir, il a touché comme saint Thomas, et ce romantique d'hier s'est converti au naturalisme d'aujourd'hui, apportant dans ses convictions nouvelles quelques-unes des bonnes qualités de ses adorations d'autrefois. En ménage est donc un livre qui se ressent de la dualité de l'écrivain, - on ne saurait voir là qu'une série de photographies littéraires très exactes, reliées par une mince affabulation. - Le jeune littérateur André est sganarellisé par sa femme, la quitte, reprend sa vie de garçon, revient aux anciennes maîtresses, aux amours de passage, sent son impuissance et le vide de son être, et retourne un jour à sa femme comme il est revenu à des collages vagues et désabusants. C'est peu de chose, on le voit ; mais cette pauvreté de canevas importe peu à l'auteur qui dresse son objectif de photographe sur tout ce qu'il voit et que nous voyons tous les jours, et il nous faut, bon gré mal gré, contempler cet album de provincial aussi ennuyeux que la réalité nue ; - en toute franchise M. Huysmans n'est qu'un croquiste de natures mortes, - c'est la chair et non l'esprit de piètres héros qui parle, et dans la note même qu'il veut nous montrer, nous préférerons toujours Aristide Froissart, le merveilleux chef d'oeuvre de Gozlan, tout fourmillant de vie et d'esprit, aux lents abrutissements du Desgenais Cyprien et d'André, ce romantique crevé sans apparence de caractère ou d'originalité. Qu'on lise néanmoins cette manière de roman qui, selon nous, est plus sincère que les dernières œuvres de M. Zola. - Puisse cette opinion être agréable à M. Huysmans, dont toute l'ambition se borne peut-être à chausser les souliers éculés de son chef de file ! - Pour tous les amis du naturalisme, En ménage sera évidemment une oeuvre remarquable et applaudie, un chef-d'oeuvre d'optique ; pour nous, cette littérature marque zéro au thermomètre des belles-lettres, car, si jamais un Edison quelconque inventait une machine à décrire, une daguéréotypie de la rue et des bouges, un phonographe spécial, l'art de MM. Huysmans et consorts cesserait d'être, comme cesseront d'être la gravure sur bois ou le métier de taille-doucier, grâce aux progrès de l'héliogravure qui nous débarrassera à jamais des maladresses de l'interprétation. - Toute littérature qui part de l'oeil et non du cerveau ou du coeur n'est pas plus une littérature, que la sténographie n'est un style." (Octave Uzanne, article signé L.D.V. pour Louis de Villotte, pseudonyme d'Octave Uzanne).

Peu de temps avant la parution d’En ménage, Huysmans écrivait à son ami Théodore Hannon (lettre du 10 février 1881) : Je suis très inquiet avec mon damné volume. Il est si différent, si bizarre, si intimiste, si loin de toutes les idées de Zola, que je ne sais vraiment si je ne vais pas faire un vrai four. C’est du naturalisme assez neuf, je crois. Mais dame, le terre à terre de la vie et le dégoût de l’humaine existence ne seront peut-être que peu goûtés par ce sacré public. Enfin c’est poivré en diable et ça attaque tout ce qui est respectable, donc j’ai des atouts. En ménage divisa la critique et resta l’un des romans préférés de son auteur.



"Dans son troisième roman, Huysmans est en ménage. Il fait le ménage, balaie la littérature de son temps qui s’adonne aux fioritures du romanesque. La cohorte pressante des naturalistes, au sein de laquelle il se montre un combattant zélé, s’applique à débarrasser le roman contemporain de ses joliesses, à démembrer la fiction divertissante et bien-pensante. 1881, c’est juste un an après le couronnement du mouvement avec Le Roman expérimental. Zola le proclame à tue-tête : il faut sortir du roman romanesque, l’avenir est à la tranche de vie, au document, à la fiche. Dans En ménage, J.-K. Huysmans poursuit son exploration des marges de la société française. À travers la figure d’un peintre et d’un écrivain tous deux en proie au déclassement social, à des difficultés amoureuses et à la difficulté de créer, il pose la question du statut de l’artiste moderne. Juste un an après le couronnement zolien du Roman expérimental sur la scène littéraire, Huysmans pressent les difficultés de l’esthétique naturaliste et, de l’intérieur,la met en procès." (Jérôme Solal Dans Revue d'histoire littéraire de la France 2009/3 (Vol. 109), pages 605 à 620, extrait)



« Voici En ménage, la dernière oeuvre du jeune romancier. Ce n'est qu'une page de la vie, la plus banale et la plus poignante. Une nuit, en rentrant, un mari trouve sa femme en flagrant délit d'adultère (...). Je ne connais pas de sujet plus profondément humain, dans sa simplicité. Nos joies et nos souffrances tiennent là (...). Ce que personne ne veut voir c'est que si le romancier va à la bête dans l'homme, l'artiste est un sensitif des plus délicats et un merveilleux ouvrier de la langue. » (Emile Zola).



Référence : Clouzot, p. 155

Bel exemplaire finement établi par Canape père à l'époque.

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