samedi 30 novembre 2019

Alfred Naquet. L'Humanité et la Patrie. Paris, P.-V. Stock, 1901. Un des 10 exemplaires sur papier de Hollande. Avec une lettre autographe de l'auteur à propos de cet ouvrage. Rare.


Alfred Naquet.

L'Humanité et la Patrie.

Paris, P.-V. Stock, 1901

1 volume in-18 (20,5 x 14 cm) de LXX-342 pages.

Reliure de l'époque pleine toile rouge, titre imprimé au dos et sur le premier plat en grands caractères tirés en bleu, couvertures imprimées conservées (plats et dos), non rogné, à toutes marges. Reliure très bien conservée, dos passé, quelques ombres et poussières à la toile (bords), intérieur très frais, bords de grandes marges avec rousseurs ou bruni, sans gravité. Le feuillet d'errata a été relié en tête du volume bien qu'il poursuive la pagination (il est aussi imprimé sur Hollande).

Edition originale.

Un des 10 exemplaires tirés à part sur papier de Hollande (celui-ci non numéroté).

Exemplaire enrichi d'une lettre autographe de l'auteur à un confrère écrivain (9 octobre 1901) en rapport avec la publication de l'ouvrage.


L'auteur écrit : "cher monsieur, je viens de recevoir votre livre et je veux d'autant moins tarder à vous remercier, que très-souffrant de vertiges depuis quelques temps, j'éprouve à lire et à écrire une fatigue extrême qui m'oblige à en ajourner un peu la lecture. De mon côté j'ai eu le plaisir de vous adresser un exemplaire de "l'humanité et la patrie" que vous devez avoir reçu ou allez recevoir. Je ne sais si vous partagerez les vues exprimées dans cet ouvrage ; mais vous reconnaîtrez certainement la sincérité de l'auteur qui n'est à la recherche que du vrai et qui, au cas où il se tromperait, ce que j'espère n'être pas le cas, le ferait avec une absolue bonne fois. M. Finot a du recevoir aussi un exemplaire du livre. Si, par vos relations avec lui, vous pouviez obtenir de lui un article de bibliographie, approbatif ou critique, peu importe, je vous en saurais un gré infini. En attendant veuillez recevoir l'expression de ma gratitude pour l'envoi de votre dernière production et l'expression de mes meilleurs sentiments. A. Naquet."


Alfred Naquet (1834-1916) était scientifique de formation, médecin, chimiste, il s'engagea très tôt au sein des milieux révolutionnaires réformateurs. Le jeune chimiste fut condamné, le 29 décembre 1867 à quinze mois de prison et 500 francs d'amende, pour avoir fait partie de la Commune révolutionnaire des ouvriers français, une société secrète ayant pour but de « renverser le gouvernement impérial » et pour avoir fourni à ses membres la recette du fulmicoton, une substance explosive utilisée dans la fabrication des bombes. Il sera privé de droits civiques et condamné à nouveau en 1869. Aux côtés des frères Reclus, Jules Guesde, Benoît Malon, Ferdinand Buisson, Victor Dave, James Guillaume, Alfred Naquet est membre de l'Alliance internationale de la démocratie socialiste fondée en septembre 1868 par Michel Bakounine. Celle-ci affirme vouloir avant tout l'abolition définitive et entière des classes et l'égalisation politique, économique et sociale des individus des deux sexes. L'Alliance reconnaît que tous les États politiques et autoritaires existants devaient disparaître dans l'union universelle des libres fédérations, tant agricoles qu'industrielles. Naquet se réfugie en Espagne. À son retour, il devient député de Vaucluse en 1871 et siège à l’extrême gauche à l'Assemblée nationale. Réélu en 1876, il est en mai 1877 l'un des signataires du manifeste des 363. Il est encore réélu en octobre de cette année, puis en 1881. En 1883, il est nommé sénateur du Vaucluse. Étonnamment, cet israélite mystique, socialiste et surtout républicain devient l’un des principaux animateurs du parti boulangiste. Il est conseiller politique du général Boulanger. Il incite même ce dernier à faire un « coup de force », ce qui le fait exclure du groupe de sénateurs de l'extrême gauche. En 1889, il est élu député boulangiste, représentant de l'aile gauche boulangiste. Invalidé mais réélu en 1890, il réclame en vain la révision de la Constitution et il fuit en Angleterre. De Londres, il supplie en vain Boulanger de se constituer prisonnier, croyant que ce geste pourrait ranimer la flamme boulangiste. Il serait par ailleurs franc-maçon. En mai 1895, il fait un discours dénonçant l'incohérence de l'antisémitisme, défendant par ailleurs « la fusion » des Juifs « dans la grande masse des citoyens français ». Alfred Naquet est poursuivi lors de l'affaire de Panama et acquitté en 1898. Il abandonne alors la vie politique et se consacre à l'écriture d'ouvrages socialistes et de traités de chimie. Il devient la cible des antisémites et des caricaturistes qui le représentent souvent en Quasimodo. Léon Daudet en fait l'une de ses cibles de prédilection lorsqu'il est question de défendre la famille et la patrie, conformément au « nationalisme intégral » prôné par l'Action française. Partisan de l’amour libre, ennemi du mariage, Naquet parvient à faire passer sa loi sur le divorce en France, le 27 juillet 1884. Il s'attire les foudres des milieux catholiques et traditionalistes, qui tirent prétexte de ses origines juives, de son implication dans l'affaire de Panama et de ses liens avec les anarchistes pour l'accuser de conspiration. Les antisémites s'en prennent à lui comme auteur de la loi sur le divorce et le surnommant « l'ange du divorce et le démon du mariage ». Une caricature est publiée dans La Libre Parole le 12 août 1893 avec la légende : « Un qui ne se présente plus ». D'autres caricatures paraissaient déjà dans la revue Le Voleur en 1882. Vers 1875, alors que flotte un certain esprit de liberté, le député Alfred Naquet dépose successivement trois propositions de loi dans le sens du divorce pour faute, afin de rétablir celui-ci, naguère autorisé par la loi de 1792. Après plusieurs échecs, il parvient à ouvrir de nouveaux débats à l'Assemblée, le 26 mai 1884. S'y affrontent deux camps : la tradition catholique contre l'esprit anticlérical et laïque des "Lumières". Le conflit est très violent et tourne au débat politique, où le bon sens est vite oublié. Lors de l'ultime vote, 355 députés votent pour et 115 contre. Voté par la gauche et le centre-gauche, le texte est définitivement adopté par le Sénat le 27 juillet 1884. Les catholiques, pour qui la séparation de corps doit être maintenue, ont voté contre. Cette loi n'établit pas le divorce par consentement mutuel ou pour incompatibilité d'humeur. Il faut des excès, des sévices, des injures graves ou la condamnation à une peine afflictive ou infamante, qui rendent intolérable le lien du mariage, pour que le divorce soit prononcé, à la demande du mari ou de la femme. La preuve de la faute est donc indispensable. Le divorce est prononcé soit aux torts exclusifs, soit aux torts partagés. L'« innocent » peut prétendre à une pension et à s'occuper des enfants. Cette loi fait l'effet d'un choc et s'ensuivront des démissions massives dans la magistrature. Elle est en effet très libératrice pour la femme car l'homme a le pouvoir économique... et pourtant, elle va réglementer le divorce pendant presque cent ans, car les modifications subies entre-temps seront mineures. 


L'Humanité et la Patrie est un curieux ouvrage. Divisé en deux grandes partie, la première consacrée à l'Homme, à la morale et plus particulièrement aux considérations à propos du libre arbitre. La deuxième partie consacrée à la Patrie aboutit à la volonté de l'auteur de voir s'établir des Etats-Unis d'Europe, une République Universelle dictée par la raison et la morale. En cela L'Humanité et la Patrie est une utopie à ranger parmi les projets de société humaine internationaliste. L'union de tous les peuples de l'Europe pour le bien commun, tel est son souhait. C'est le souffle révolutionnaire qui a donné à la France la prééminence sur tous les peuples, écrit-il. Il souhaite ardemment la séparation des pouvoirs entre l'église et l'état, et ne croit pas aux conceptions extrémistes des nationalistes. Cet épais volume est d'une densité et d'une complexité toute scientifique cependant animée par un esprit lucide et volontaire.


Très bon exemplaire du rarissime tirage sur papier de Hollande avec lettre autographe.

Prix : 1.150 euros