jeudi 18 janvier 2024

Monrose ou suite de Félicia [Monrose ou le Libertin par fatalité], par le même Auteur [Andréa de Nerciat]. A Paris, an cinq (1797). 4 parties en 2 volumes in-18 avec 4 frontispices gravés. Bel exemplaire en condition d'époque de ce roman libertin rare en éditon du XVIIIe siècle.


ANDREA DE NERCIAT, André Robert

Monrose ou suite de Félicia [Monrose ou le Libertin par fatalité], par le même Auteur [Andréa de Nerciat]

A Paris, an cinq (1797)

4 parties reliées en 2 volumes in-18 (13,5 x 8,3 cm) de (2)-179-(3), (2)-202-(2), (2)-190-(2) et (2)-194-(2) pages et 4 frontispices gravés non compris dans la pagination. Collationné complet.

Reliure strictement de l'époque pleine basane fauve marbrée, dos lisses ornées d'un fer "gerbe de blé", pièces de titres et tomaisons de maroquin rouge, doublures et gardes de papier à la colle bleu, roulette dorée sur les coupes. Légères usures aux coins et à l'extrémité de la coiffe inférieure du premier volume, petites marques et épidermures. Les reliures restent fraîches et très décoratives.


Nouvelle édition.

On ne connait pas le lieu d'impression de cette édition (peut-être en Belgique ? Liège comme l'édition Desoer de 1792 ?)

Monrose, ou le Libertin par fatalité, suite de Félicia a paru pour la première fois en 1792. Selon Gay-Lemonnyer, elle aurait été publiée à Paris par Cazin ; selon Kearney, à Liège par Desoer. Elle est très rare. Elle n'est pas illustrée. Il faudra attendre les nouvelles éditions de 1795 ou 1797 pour voir apparaître une suite de 20 gravures libres jointe à certains exemplaires des éditions anciennes. Notre exemplaire ne contient pas cette suite libre mais contient bien les quatre frontispices requis.

Cette impression de 1797 est réputée pour avoir été fort négligée (fautes typographiques, papier médiocre), elles imprimée en très petits caractères.











Ce roman est généralement attribué à Nerciat, auteur de Félicia paru en 1775. On lit que Wolff dans son Histoire du Roman, en allemand, remarque quelque différence avec Félicia dans le style et dans la composition, et doute de l'exactitude de l'attribution de Monrose à Nerciat. On lit ailleurs que Wolff doute sans raisons suffisantes. Ce livre se rencontre ordinairement sans les gravures libres qui n'ont été ajoutées qu'à un petit nombre d'exemplaires.

Quoi qu'il en soit, le texte des éditions de 1792, 1795 et 1797 fait de nombreuses fois référence en notes de bas de page au texte de Félicia en reportant le lecteur à divers passages de cette histoire.

Andréa de Nerciat, André-Robert (Dijon 1739 - Naples 1800 ou 1801 ?), ex-capitaine des gendarmes du Roi à Versailles, est le plus grand romancier érotique de toute l’Europe, sachant exprimer le pire libertinage sans être vulgaire… "En 1789 parurent ses Contes saugrenus, en 1792 Mon noviciat et Monrose dont il ne faut pas douter malgré Wolff que ce soit un ouvrage de Nerciat. Il semble que pendant la Révolution, Nerciat joua un rôle assez louche, demeurant comme agent secret aux gages de la République qu'il détestait et trahissait peut-être. Quoi qu'il en soit, il se préoccupait toujours de ses livres. Il laissa paraître en 1793 les Aphrodites et vendit le manuscrit du Diable au corps qui ne devait paraître qu'en 1803, à Mézières, après la mort de l'auteur. Cependant, le métier d'écrivain ne remplissait pas tous ses loisirs, et tandis que ses fils étaient boursiers de l'Egalité, le citoyen Nerciat exerçait la profession équivoque de policier."








On trouve une analyse de ce roman libertin dans Les Galanteries du XVIIIe siècle par Charles Monselet publiées en 1862, p. 155 et suiv. : "De nouveaux personnages ajoutés à ceux que nous connaissons (dans Félicia) recommencent une série d'orgies, pourvue du même genre d'attrait que la première. L'abbé de Saint-Lubin, la baronne de Liesseval, Mimi, madame de Flakbach, Armande, Floricourt, Senneville, placés pour ainsi dire sous le commandement de Félicia et de Monrose, vont passer la saison d'été dans une délicieuse terre située à quelques lieues de Paris ; ils n'y couronnent point de rosières, comme on le pense bien ; ils se contentent de jouer la comédie, Les Fausses Infidélités, par exemple, et de chasser tout le jour dans les bois, souvent même le soir. De temps à autre, comme dans Félicia, le drame intervient brusquement et se prolonge quelquefois dans une proportion fatigante ; l'auteur s'en aperçoit, mais seulement vers la fin du quatrième volume : « Je conviens avec vous, dit-il, cher lecteur, que la marche de toutes ces aventures n'est pas ordinaire. Ce mélange singulier de vertu, de faiblesse, de sentiment, de caprice, ces brusques transitions de la tristesse au plaisir, du plaisir au remords, du courroux à l'attendrissement, tout cela est de nature à vous ballotter peut-être désagréablement, si vous avez l'habitude et le goût de ces scènes uniformes où chaque acteur conserve son premier masque d'un bout à l'autre de son rôle. La plupart de mes personnages sont à moitié purs et à moitié atteints d'une corruption dont il est bien difficile de se garantir au sein des capitales, quand on y apporte des passions et d'assez grands moyens de les satisfaire. De là, tant de disparates. L'histoire de mes acteurs est celle des trois quarts des mondains de tous les pays de l'Europe. Il faut remarquer dans Monrose un individu italien qui pourrait bien avoir servi de modèle à Balzac pour son ou sa Zambinella, dans le petit roman de Sarrazine."

La lecture de ce roman libertin est des plus agréables et son écriture typique du style très châtié et allusif propre aux auteurs les plus délicats de cette seconde moitié du XVIIIe siècle, dont Nerciat est sans aucun doute le plus habile représentant.

"Pour moi, quelle délicieuse surprise la première fois que je lui permis l’exercice de son ancien privilége ! Pardon, cher d’Aiglemont, si vos brillants services, dont je conservais un reconnaissant souvenir, perdirent tout à coup à mes yeux les trois quarts de leur lustre, comme la plus brillante étoile pâlit au lever du soleil. Six ans d’une abstinence totale, qui ne peut guères être expliquée que par le concours des circonstances stériles pour la volupté dans lesquelles Monrose venait de vivre, l’avaient tellement conservé, mûri, trempé (l’expression n’est point hyperbolique), que je ne concevais pas, moi si familiarisée avec les perfections de l’espèce virile, comment aux traits enchanteurs, aux formes délicates d’Apollon, pouvait s’être adapté, comme exprès pour compléter un chef-d’œuvre, le plus désirable attribut de l’amant d’Omphale, ou plutôt celui qui caractérise le dieu de Lampsaque, cet épouvantail, en un mot, dont tous les monuments antiques nous affirment que notre sexe, si frêle, affrontait volontiers la brutalité, faisant grâce d’ailleurs à la laideur du dieu, pareillement consacrée. Qu’on juge de ce que devait être Monrose, quand mille beautés n’étaient, chez lui, démenties que par une monstruosité de ce mérite. [...] « Elle vient enfin à moi, brûlante et légèrement colorée, de la tête aux pieds, du vif incarnat de la lubricité touchant au moment du plaisir. « Monrose, dit-elle, je n’ai pas voulu te vendre chat en poche. Je me connais et sais trop bien que d’après mon pauvre visage, un peu disgracié, l’on pourrait supposer que le reste n’est pas plus digne de l’attention de ton sexe ; mais, vois, touche, mon amour… » Je voyais, touchais et baisais même avec un appétit inexprimable. Au plus léger mouvement qui l’assure que je vais répondre de toute mon âme à l’ardeur de son désir, elle s’élance sur le lit avec la vivacité de la plus agile danseuse de l’Opéra, m’étreint, m’enlace, frémit d’une tendre fureur et me fait partager les sublimes délices d’un moment qu’avait si bien préparé pour tous deux la magie combinée de l’illusion, du vin et de l’amour. »" (extrait)

Références : Pia, Enfer, col. 950 "édition très rare" ; Gay-Lemonnyer, III, col. 268 ; Cohen-de Ricci, col. 749.

Bel exemplaire de cet ouvrage libertin rare en édition du XVIIIe siècle bien relié à l'époque.

Prix : 2.500 euros