mardi 16 janvier 2024

Les Aventures de Jacques Sadeur dans la découverte et le voyage de la terre australe. Contenant les coutûmes et les moeurs des Australiens, leur religion, leurs exercices, leurs études, leurs guerres, les animaux particuliers à ce pays, et toutes les raretés curieuses qui s'y trouvent. Par Gabriel de Foigny (et remanié par François Raguenet). A Paris, chez Jean Jeofroy Nion, 1705. Bon exemplaire de ce voyage utopique curieux.


[FOIGNY, Gabriel de] [RAGUENET, Abbé François]

Les Aventures de Jacques Sadeur dans la découverte et le voyage de la terre australe. Contenant les coutûmes et les moeurs des Australiens, leur religion, leurs exercices, leurs études, leurs guerres, les animaux particuliers à ce pays, et toutes les raretés curieuses qui s'y trouvent.

A Paris, chez Jean Jeofroy Nion, 1705

1 volume in-12 (16 x 9,5 cm) de (16)-341-(3) pages.

Reliure strictement de l'époque plein veau caramel, dos à nerfs orné aux petits fers, tranches mouchetées de rouge. Extrémités des coins et coiffes usés. Dor orné avec pièce de titre de maroquin rouge bien conservé. Intérieur frais. Collationné complet. Exemplaire qui mérite quelques minimes restaurations à la reliure pour obtenir un bel exemplaire.

Nouvelle édition.


Ce roman ou voyage utopique parait pour la première fois en 1676 sous le titre "La Terre Australe connue : c'est à dire la Description de ce pays inconnu jusqu'ici, de ses moeurs et de ses coutûmes, par Mr. Sadeur, avec les Avantures qui le conduisirent en ce Continent, etc. Ce volume paraît sous l'adresse "A Vannes, par Jacques Verneuil, 1676". En réalité le volume a été imprimé à Genève, sans permission. L'auteur, Gabriel de Foigny, était un moine défroqué décrit par Frédéric Lachèvre comme "un vulgaire paillard, un déséquilibré complet". De Foigny était membre de l'ordre des Cordeliers exilé en Suisse et converti au protestantisme. Son texte fait partie des utopies basées sur l'exploration d'un pays inconnu peuplé d'hommes aux moeurs singulières. En effet, De Foigny décrit une société d'hermaphrodites (Jacques Sadeur étant lui-même hermaphrodite) où les enfants non androgynes sont étouffés à la naissance. L'ensemble du texte tient de la défense de la libre pensée libertaire, des libertés de pensées religieuses (le soleil est leur unique dieu) ; l'auteur y montre une société égalitaire et végétarienne, qui ne connait pas la propriété privée, etc. Jacques Sadeur vécut parmi les Australiens pendant 35 ans. "Il ne put connaître ni quand ni comment s'y faisait la génération. Le goût de la mort était assez vif en terre australe pour que les habitants mangeassent le fruit du sommeil éternel. Il en résultait à certains moments un dépeuplement tel qu'il fallait obliger les Australiens à présenter trois enfants à l'assemblée." Jacques Sadeur est finalement rejeté par ce peuple et récupéré par un bateau.







Pour cet ouvrage De Foigny comparait en justice seulement dix mois après la parution du livre afin qu'il se justifie du contenu de l'ouvrage qui va à l'encontre des enseignement de l'église (hérétique). Afin d'échapper à une condamnation, De Foigny se désigné comme traducteur seulement et non comme auteur de l'ouvrage. Sans doute l'auteur avait prévu de corriger son texte pour le rendre moins scandaleux dans une nouvelle édition. Une seconde édition largement remaniée sera donnée sous un titre définitif (le nôtre) en 1692, par les soins de l'abbé Raguenet et très probablement sur les corrections et indications de De Foigny lui-même qui meurt cette même année. Notre édition de 1705 est strictement identique à cette édition de 1692 et sera remise en vente avec un nouveau titre en 1732 (Amstedam, D. Mortier). Les exemplaires de 1732 seraient en réalité les exemplaires invendus de l'impression de 1705.








"Au terme d'une série de naufrages et d'épreuves initiatiques dont le caractère de mort très symbolique est très fortement marqué, Sadeur, le héros de Foigny, découvre dans la Terre Australe, aux antipodes de l'Europe d'où il vient, une société « idéale » conforme en apparence aux stéréotypes habituels du genre utopique : urbanisme géométrique en damier, organisation rationnelle de tous les aspects de la vie, absence de propriété privée et de monnaie, communisme économique, égalitarisme, religion déiste. Par deux aspects toutefois cette utopie échappe à la banalité. Les Australiens présentent la particularité d'être hermaphrodites ; possédant les deux sexes, ils sont dotés de la faculté de s'auto-reproduire et ont la sexualité en horreur, considérant même comme des animaux tous les êtres sexués. Ils vivent, d'autre part, dans une société dépourvue d'organisation étatique et même de toute instance supra-individuelle. C'est que, être idéalement rationnels, ils ne peuvent vouloir que ce que veut la Raison, donc tous nécessairement les mêmes choses ; d'où une liberté absolue, sans contenu cependant, puisqu'elle se confond avec la nécessité, rendant inutile la contrainte collective. Parfaits, autosuffisants, indemnes de toute dépendance et de toute différence puisque tous rigoureusement semblables, exonérés des passions et des appétits inhérents à notre condition, les Australiens de Foigny incarnent la fiction théologique de ce qu'aurait pu être une humanité prélapsaire, ainsi que le suggère le narrateur : A voir ces gens, on dirait facilement qu'Adam n'a pas péché en eux, et qu'ils sont ce que nous aurions été sans cette chute fatale. [...] Pierre Bayle, le premier et longtemps le seul, a parfaitement perçu [article Sadeur de son Dictionnaire] la portée prioritairement théologique d'une fiction où beaucoup d'interprètes ont voulu voir exclusivement une utopie socio-politique, sinon même l'anticipation de la société communiste de l'avenir. [...] La Terre Australe Connue peut donc s'interpréter non comme une réécriture satirique ou une variation ludique sur le scénario canonique de la Genèse, mais comme le développement logique, à partir d'une virtualité non actualisée du récit biblique, d'un possible historique autre de la Création : qu'auraient été le monde et l'homme sans la Chute ?" (Jean-Michel Racault, « Nulle-part et ses environs », Paris : Presses de l'université de Paris-Sorbonne, 2003 (pp. 85-86, 105 etc.).

"Les habitants de cette Isle ont une grande vénération pour le Soleil, & ils le regardent comme le maître & le dispensateur de toutes les bénédictions. Ils ne manquent jamais de lui offrir des sacrifices, & ils croient qu'il est le seul vrai Dieu. [...] "Les habitants sont persuadés que les Cieux les regardent favorablement, & qu'ils ont un commerce avec les Etoiles. Ils m'apprisrent aussi qu'ils avoient été autrefois hommes, mais que le Ciel les ayant déclarés trop bons & trop justes, ils les avoit changés en hommes, & les avoit élevés au-dessus de toutes les créatures." (extraits)

Références : Frédéric Lachèvre, Les successeurs de Cyrano, pp. 165-167 ; Versins, 338

Bon exemplaire en condition d'époque de ce texte utopique curieux.

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