Sieur D *** [Nicolas BOILEAU DESPREAUX]
Oeuvres diverses du Sieur D * * * avec le Traité du Sublime ou du Merveilleux dans le Discours, traduit du Grec de Longin.
A Paris, chez Claude Barbin, 1674 [de l'imprimerie de Denys Thierry]
2 parties en 1 volume in-4 (25,2 x 18,3 cm | Hauteur des marges : 245 mm) de (6)-178-(2) et (12) puis paginé de (3) à 102-(10) pages, dont un frontispice gravé par P. Landry pour la première partie et un autre frontispice dessiné et gravé en 1674 par François Chauveaau (placé en regard du Traité du Sublime). Collationné complet. Léger grattage sur le titre.
Reliure plein maroquin janséniste vert sombre, dos à nerfs, toutes tranches dorées, dentelle dorée en encadrement intérieur des plats, doublures et gardes de papier marbré (reliure exécutée dans le courant du XXe siècle). Excellente reliure de belle facture pourtant non signée. Dos passé, intérieur très frais (exemplaire légèrement lavé conservant toute la beauté du tirage et le velouté du papier).
Edition en grande partie originale.
C'est la première édition de Boileau à porter le mot Oeuvres sur le titre. Elle contient 9 satires, 4 épitres, l'Art poétique en vers, les quatre premiers chants du Lutrin et le Traité du Sublime et du Merveilleux dans le discours, traduit du grec de Longin, suivi de Remarques. Avec des tables.
Cette édition contient également un Avis au lecteur et une Préface au Traité du Sublime. Notre exemplaire est bien complet des deux extraits du privilège (le premier placé après la page 178 et le second placé à la fin du volume après la table, dans les deux cas la date d'achevé d'imprimer pour la première fois est celle du 10 juillet 1674. On sait par la mention au verso du tout dernier feuillet que ce volume sort des presses de Denys Thierry, imprineur rue Saint Jacques à l'Enseigne de la Ville de Paris.
Très belle impression en caractères italiques avec de nombreux ornements gravés.
La publication des Satires de Boileau en 1666 fit scandale. Jeune, peu connu, vivant encore dans l’ombre de son frère Gilles, le poète voulut faire une irruption fracassante dans la République des Lettres. L’émotion publique qu’il suscita fut à la hauteur de ses espérances. Elle devait durer jusqu’à sa mort, entretenue par les éditions successives de ses œuvres et notamment par les Satires X et XII. La Satire X contre les femmes, publiée en 1694, déchaîna un tollé. Quant à la Satire XII sur l’équivoque, œuvre testamentaire, écrite dans les années 1705-1710 et dirigée contre les jésuites, elle fut tout simplement interdite de publication par Louis XIV. La Querelle des Satires pose la question de la possibilité de dire ce qu’on pense être la vérité dans un environnement qui n’est pas prêt à l’entendre par peur et lâcheté, par paresse ou par habitude du mensonge et de la flatterie. C’est pourquoi entre la Querelle du Cid, celle de L’École des femmes, celle des deux Phèdre et celle des Anciens et des Modernes, il faut faire toute sa place à la Querelle des Satires de Boileau, qui d’ailleurs prit part à des degrés divers à toutes les autres querelles. Avec une rare audace au début du règne de Louis XIV, il s’érige en moraliste brusque et péremptoire ; mais plus encore, il se pose en censeur des Lettres, en régent du Parnasse, en nouvel Aristarque. Il fait le tri entre ceux qu’il juge les bons et les mauvais poètes, culbutant sans ménagement nombre d’écrivains qui pensaient pouvoir jouir d’une notoriété tranquille, honorable et sempiternelle. Boileau eut la chance, au milieu des émotions publiques qu’il déchaîna, de pouvoir étayer sa poétique sur les chefs-d’œuvre de Corneille, de Molière et de Racine (voir Nicolas Boileau et la Querelle des Satires par Pascal Debailly in Littératures classiques 2009/1 (N° 68), pages 131 à 144).
Le Lutrin est une célèbre parodie épique de Nicolas Boileau, sous-titrée « poème héroï-comique ». Tandis que les quatre premiers chants en sont antérieurs à l'Art poétique, puisque publiés entre 1672 et 1674, les deux derniers chants en virent le jour en 1683. Tout d’abord intitulé « poème héroïque » (épopée), Boileau y substitua le sous-titre de « poème héroï-comique » en 1698, sur les conseils de ses amis. Son élaboration semble due à une gageure : Boileau aurait cherché à démontrer la possibilité de faire une épopée sur des sujets aussi minces soient-ils (en l’occurrence une dispute entre un trésorier et un chantre du chapitre). Le caractère parodique de l’œuvre est à entendre dans un tout autre sens que pour le Virgile travesti par exemple. Au contraire de Scarron, Boileau ne cherche en effet pas à détourner un sujet sérieux, mais au contraire à bâtir une œuvre sérieuse sur un sujet insignifiant. S’il n’en détourne pas moins quelques canons épiques, en donnant par exemple à son poème un titre évoquant un meuble, en parodiant le fameux cano de l'Énéide de Virgile, en mettant en scène des personnages sans noblesse et des allégories pour le moins originales, comme la Mollesse, il ne sombre jamais dans le grotesque baroque. Critique, le Lutrin l’est aussi : Boileau n’y cache pas sa volonté de moquer quelques œuvres à succès de son temps, mais qu'il n'apprécie pas, comme le Cyrus et la Clélie de Madeleine de Scudéry et d’attaquer « l’abus de l’allégorie, de la mythologie », « le goût du siècle pour l’emphase et le ton ampoulé ».
On chercherait vainement ailleurs tout ce qu'on peut trouver de travers chez l'homme dans les vers de Boileau.
"De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air, qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer, de Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome, le plus sot animal, à mon avis, c'est l'Homme." (début de la Satire VIII).
"Avant donc que d'écrire, apprenez à penser. Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément." (Chant I de l'Art poétique, extrait)
Bel exemplaire de cette importante édition dans le format in-quarto.