[Bussy-Rabutin, Roger de Rabutin, comte de Bussy, dit] [Manicamp] [Anonyme]
[Manuscrit, ca 1674-1680, copie anonyme clandestine, d'une seule et même écriture]
Histoire du Palais Royal ou les Amours du Roy Louis le Grand (du folio 1 au folio 46)
L'Histoire de l'Amour feinte du Roy pour Madame (du folio 47 au folio 58)
L'Emprisonnement de Monsieur de Vardes (du folio 59 au folio 62)
Histoire de madame la comtesse de Soissons, de Monsieur le comte de Guiche et de Monsieur le marquis de Vardes (du folio 62 au folio 100 recto)
Histoire de Monsieur le marquis de Vardes (du folio 100 verso au folio 111 verso)
Suivent 3 feuillets blancs (folio 112, 113 et 114)
Discours ou Sermon prononcé à la vesture de Madame de la Vallière par Monsieur l'évêque d'Aire aux Carmellites de Paris le 2e jour de juin 1674 (du folio 115 au folio 145 recto)
Sur Madame de la Vallière se faisant religieuse au couvent des carmélittes de Paris (folio 145)
1 volume in-12 (18,5 x 12,5 cm). Manuscrit lisible (avec effort) d'une belle écriture complexe et typique de l'époque (vers 1674-1680).
Reliure plein veau glacé caramel, dos à faux-nerfs avec caissons décorés de filets à froid, encadrement de filets à froid sur les plats, doublures et gardes de papier peigne. Relié sur brochure, non rogné (ébarbé). Reliure fraîche en dépit de fentes aux mors sans conséquence sur la solidité de l'ensemble.
Exceptionnelle copie manuscrite clandestine d'époque pour plusieurs ouvrages satiriques sur les amours de Louis XIV et d'autres personnages de sa cour.
Voici l'historique de chacune des pièces contenues dans ce recueil manuscrit :
Histoire du Palais Royal ou les Amours du Roy Louis le Grand : ce texte a été publié clandestinement en Hollande en 1667. Ce roman "historique" libertin met en scène le jeune roi Louis XIV et Henriette d'Angleterre. La Cour soupçonna un temps Madame et le roi d'être amants. Des suppositions sur une éventuelle liaison amoureuse existent toujours mais rien n'a jamais été clairement prouvé. Il est certain qu'Henriette fut la reine incontestée de nombreuses fêtes que Louis XIV donnait. Pour faire pièce aux médisants, elle aurait suggéré de faire appel à un "paravent", un leurre : une jeune fille que le roi courtiserait et avec laquelle on lui prêterait une idylle. Le choix se serait porté sur une de ses suivantes, Louise-Françoise de La Baume Le Blanc (duchesse de La Vallière). Mais Louis XIV se serait épris réellement de la jeune fille et se serait éloigné un peu d'Henriette qui demeura tout de même la reine des bals de la Cour mais brocardait ouvertement et méchamment la jeune fille naïve qui l'avait supplantée dans le cœur du roi. livre fut imprimé en Hollande ; un exemplaire en fut envoyé à Louvois qui le porta au Roi, le Roi le montra à Mme Henriette ; elle y était, avec lui, fort compromise. Elle en parla à l’évêque de Valence, Cosnac ; l’évêque disparut et s’en alla à La Haye ; au bout de huit jours il revint chargé de toute l’édition qu’il avait achetée pour la brûler. Trois exemplaires étaient restés, la princesse les eut entre les mains et les jeta au feu. Cependant on les vit ; il y en eut des copies, d’incomplètes copies sur lesquelles on fit une seconde édition, pleine de lacunes (voir les Mémoires de Cosnac publiés seulement en 1852). Ce roman satirique est souvent attribué à Bussy-Rabutin, l'auteur de l'Histoire amoureuse des Gaules publié sans son consentement en 1665 (mais rien n'est moins certain). Le texte de notre manuscrit est une des copies clandestines d'époque auquel on a ajouté les textes suivants :
L'Histoire de l'Amour feinte du Roy pour Madame a paru pour la première fois également cette même année 1667. Ce texte également souvent attribué (sans doute à tort) à Bussy-Rabutin. D'autres attribuent ce titre à Gatien Courtilz de Sandras, ce qui nous paraît tout aussi fantaisiste (Courtilz de Sandras étant né en 1644 il n'aurait eu que 23 ans au moment de la rédaction de ce roman satirique, son temps d'écrivain satirique et polygraphe n'était pas encore venu). C'est encore l'histoire des amours clandestines et supposés entre Louix XIV et Madame (épouse en 1661 de Philippe d'Orléans frère du roi Louis XIV).
L'Emprisonnement de monsieur de Vardes tel que nous le donne ce manuscrit a été publié sous le titre : La Princesse ou les Amours de Madame avec à la suite L'Histoire de madame la comtesse de Soissons, de Monsieur le comte de Guiche et de Monsieur le marquis de Vardes. Ce texte satirique serait l'oeuvre de Manicamp (la Bibliothèque nationale de France en possède un manuscrit au format in-folio, fonds français, n°23255). François-René Crespin du Bec, marquis de Vardes, est né vers 1621 et mort en 1688. Très porté sur les intrigues de Cour, il fut l'un des auteurs de la Lettre espagnole, qui avait pour vocation de révéler à la reine Marie-Thérèse la liaison de Louis XIV avec Louise de La Vallière. Madame de Lafayette raconte longuement cette ténébreuse affaire dans La Vie de la princesse d'Angleterre. Cette initiative intempestive lui valut d'être emprisonné quelque temps en 1665, puis relégué dans son gouvernement jusqu'en 1683.
L'Histoire de Monsieur le marquis de Vardes poursuit et détaille l'histoire des intrigues à la cour de Louis XIV concernant les amours clandestines avec La Vallière. On en trouve des morceaux dans les Mémoires de Conrart publiés seulement au XIXe siècle.
Les trois feuillets blancs viennent faire une séparation naturelle entre ces romans satiriques et le dernier texte qui vient clore ce volume et qui concerne directement Madame de La Vallière. Le Discours ou Sermon prononcé à la vesture de Madame de La Vallière par monsieur l'évêque d'Aire aux Carmélites de Paris le 2 juin 1674 a été publié dans le courant du XVIIIe siècle mais à l'époque il ne circulait qu'en manuscrit.
Enfin la dernière petite pièce manuscrite est une pièce en vers intitulée "Sur madame de la Vallière se faisant religieuse au couvent des carmélites de Paris". Ce sont 6 vers seulement, les voici :
Deux grands rois pour m'avoir se sont fait la guerre,
L'un est le roi du ciel, et l'autre de la terre.
Le roi du ciel vainqueur, me conduit en ce lieu :
Quel bonheur est plus grand sur la terre et sur l'onde !
Je me vois aujourd'hui l'épouse du grand Dieu.
D'amante que j'étais du plus grand roi du monde.
Ces vers circulaient vraisemblablement en manuscrit dans des copies et ce dès l'entrée de Madame de la Vallière au couvent des Carmélites. Ces vers ont été reproduits depuis en imprimé dans les éditions du XVIIIe siècle des Lettres de Madame de la Vallière et divers opuscules joints. Il y a peu de chance pour que ces vers soient de Madame de La Vallière mais plutôt sortis de la plume de quelqu'un qui aura voulu résumer la situation de son entrée au couvent. D'ailleurs dans notre copie manuscrite probablement faite vers 1680, quelques mots sont changés par rapport aux versions imprimées que nous avons pu consulter.
En résumé nous avons ici un témoignage de ce que pouvait être une copie manuscrite clandestine des romans satiriques (parfois orduriers à l'égard du roi et La Vallière) réunissant la plupart des écrits publiés sur les amours de Louis XIV et Madame de La Vallière, depuis son ascension jusqu'à sa réclusion à perpétuité chez les Carmélites de Paris.
Madame de La Vallière est morte le 7 juin 1710 à l'âge de 65 ans, encore recluse au Carmel de Paris. Son fils Louis, né en 1667, fruit de ses amours avec le roi, était mort à l'âge de 16 ans le 18 novembre 1683 (légitimé par le roi en 1669). Louis XIV, dit « le Grand » ou « le Roi-Soleil », mourut le 1er septembre 1715 après 72 ans de règne. La Montespan avait remplacé depuis très longtemps La Vallière dans le coeur et la couche du roi (depuis mai 1667). Henriette d'Angleterre, autrement dit Madame épouse de Philippe d'Orléans, frère du roi, mourut quant à elle à l'âge de 26 ans en 1670.
Toutes les histoires réunies dans ce volume manuscrit tiennent de l'année des années 1666-1667 (puis de l'année 1674) pour l'entrée Madame de La Vallière aux carmélites de Paris.
Les copies manuscrites de cette qualité sont aujourd'hui de la plus grande rareté. L'attribution des divers opuscules semble vaine puisque même au XIXe siècle les plus grands érudits qui se sont penchés sur ces "Histoires amoureuses des Gaules" et autres romans, n'ont pu attribuer avec certitude la plupart d'entre eux. Par facilité ils ont presque tous été attribués à Bussy-Rabutin, alors en prison puis exilé sur ces terres de Bourgogne pendant près de dix-huit années. On ne prête qu'aux riches, Bussy-Rabutin avait eu le malheur pour lui d'être un joyeux méchant chansonnier du puissant roi soleil qui ne lui pardonna jamais ses outrances réelles ou supposées.
La reliure date des années 1850 et ne porte aucune marque de provenance. Bien que la reliure ne soit pas signée elle sort sans contestation possible d'un grand atelier parisien (Duru ? Trautz ?).
Très bel exemplaire pour ce manuscrit unique et émouvant.
Prix : 8.000 euros