MANDAR, Théophile [VILLENAVE]
[DANGERS] DES INSURRECTIONS, ouvrage philosophique et politique, sur les rapports des insurrections avec la liberté et la prospérité des empires. Par Théophile Mandar.
A Paris, chez les Directeurs de l'imprimerie du Cercle social, Masson, libraire, Desenne et chez la citoyenne Lesclapart
1793, l'an deux de la République
1 fort volume in-8 (20 x 13 cm) de 614 pages.
Reliure de l'époque pleine basane fauve marbrée, dos à nerfs orné aux petits fers dorés, tranches bleues marbrées. Quelques restaurations à la reliure. Intérieur frais dans l'ensemble malgré des différences de qualité dans le papier, parfois jauni ou bruni pour quelques feuillets seulement (nous sommes début 1793 et le papier est cher et rare).
Edition originale et unique édition.
Ce volume s'ouvre sur un Avertissement de l'éditeur et une courte Préface. Vient ensuite une Dédicace et un Discours préliminaire "à nos neveux" (la décicace est datée du 1er janvier 1793). Le Discours préliminaire occupe le pages 17 à 148 et est divisé en trois parties. le chapitre premier intitulé "De l'insurrection" commence à la page 149. Le corpus se divise en 34 courts chapitres, certains extraits des ouvrages d'Algerson Sydney. Après la page 436 commence un Supplément (la pagination est continue). Ce Supplément a pour faux-titre : Essai sur la sorte d'éloquence, la plus propre à servir utilement la cause de la liberté dans un gouvernement populaire ; auquel on a joint quelques exemples, etc. Le feuillet qui suit est une nouvelle page de titre rédigée comme suit : Des insurrections, ouvrage philosophique et politique, sur les rapports des insurrections avec la liberté et la prospérité des empires. Par Théophile Mandar. Supplément. A Paris, (chez les mêmes), 1793, L'an deux de la République. Suit un Appendice qui contient un extrait de l'ouvrage intitulé : Mécanique morale ; par Antoine de La Salle. A la page 507 se trouve un nouveau faux-titre ainsi rédigé : Discours sur le commerce et l'esclavage des nègres, dédié aux citoyens Prestat, père et fils, en la cité, comme un témoignage de la haute estime et de l'inviolable attachement de leur dévoué concitoyen, Théophile Mandar. A la page 553 commence un morceau intitulé "Génie des siècles" (morceau qui devait faire suite à la troisième partie du discours préliminaire). A la page 579 se trouve une épître "à mes lecteurs" dans laquelle l'auteur indique qu'il apprend que son ouvrage en étant à la trente-septième feuille d'impression, il apprend que les citoyens composant la société des amis de la liberté et de l'égalité, séante aux Jacobins, viennent de prononcer le serment de poignader tous ceux qui proposeraient quelque chose qui, sous une forme quelconque, ressemblerait à la royauté, ou à la dictature. Mandar confirme que son ouvrage est sa profession de foi et qu'il ne le reniera pas. Il précise qu'il restera à son poste, électeur du département de Paris, il donne son adresse (rue de Malte, marais du Temple) et il précise enfin avec le plus grand aplomb : je sors toujours sans armes. Il écrit : "Si, contre mon intention, quelques personnes jugeaient que je méritasse d'être poignardé, je saurai mourir." Cette épître est datée du 19 janvier 1793. A la page 581 suit une Lettre à Anaxagoras Chaumet, procureur de la commune de Paris. A la page 589 se trouve une Formule du Serment qui sera prêté par le Magistratissime à élire par nos neveux (chapitre qui devait faire suite à celui intitulé : du Magistratissime et de ses pouvoirs - que l'auteur précise avoir alors supprimé de l'ouvrage). Le texte s'achève à page 606 mais se trouve à la suite un feuillet intitulé "A mes lecteurs genevois" (mal paginé 605 au verso du feuillet). Enfin, trois deux feuillets paginés séparément (1) à 3 contient une Déclaration de l'auteur de l'ouvrage intitulé Des Insurrections, etc. L'auteur y déclare être étranger à toutes les factions et à tous les partis (bien qu'il fut proche des Girondins). "Je déclare enfin, que je n'ai rien plus à coeur que la liberté de ma patrie ; et que je mourrai en riant, si ma vie devenait utile et nécessaire pour la consolider, et pour ajouter à ses bienfaits." (23 janvier 1793). Au bas de la page 3 il est indiqué que ce volume sort des presses des Directeurs du Cercle Social, rue du Théâtre Français. Une table des chapitres paginée 609 à 614 termine le volume.
Provenance : exemplaire de l'auteur, Théophile Mandar (1759-1822) attesté par une longue note manuscrite de Villenave (1762-1846) écrite au verso du faux-titre : "Cet exemplaire d'un ouvrage singulier dont l'auteur dit : "je n'ai fait aucune études, l'univers a été mon collège (et le genre humain mon ami. J'ai eu pour maîtres les nations) contenait plusieurs notes manuscrites que M. Théophile Mandar a rayées avec beaucoup de soin et il a écrit sur le recto de ce feuillet (faux-titre) : "les notes manuscrites raturées n'étaient point de l'auteur, elles étaient ou puériles ou inconvenantes." Une de ces notes rayées, page 327, permet de lire encore ces mots : "Si ce style n'approche pas de l'extravagance, je n'y comprends rien." L'exemplaire est corrigé de la main de l'auteur comme pour une seconde édition. Voyez les pages 91, 319, 549, 558, etc. Villenave poursuit dans sa note manuscrite : "M. Mandar a ajouté de sa main le mot Dangers (souligné) au dessus du titre et du faux-titre : Des insurrections, etc. Il a rempli les lacunes qu'il avait laissées en blanc. On lisait page 291 : "Robespierre est trop ... .... pour que ses ennemis puissent rien ajouter à sa réputation ; et ni vos discours, ni la calomnie, ni les citoyens dont vous parlez ne peuv .... .... quant à M. d'Orléans, etc." M. Théophile Mandar a écrit à la marge pour remplir le premier blanc "trop vil et trop lâche", et pour remplir le second : est ajouté "au mépris que je lui voue." (signé Villenave). Mathieu-Guillaume-Thérèse Villenave, né le 13 avril 1762 à Saint-Félix de Caraman, mort le 16 mars 1846 à Nantes, était un homme de lettres, journaliste, avocat, bibliophile et collectionneur d'autographes français. Vers le milieu de 1792, il accueille, un moment, dans sa maison nantaise, l'astronome et homme politique Bailly, avant que celui-ci ne soit arrêté un peu plus tard à Melun et envoyé à l'échafaud. En septembre 1793, Villenave et sa femme sont à leur tour arrêtés. Elle est enfermée au château de Luzancy, sur les bords du fleuve qui sert de théâtre aux exécutions de Carrier ; lui fait partie du convoi des 132 Nantais envoyés à Paris sous l'accusation d'opinions contre-révolutionnaires. Villenave en a fait un récit dans sa Relation du voyage de cent trente-deux Nantais ; ils manquent d'être fusillés à Ancenis et noyés à Angers, et un certain nombre meurent durant le voyage. Les survivants, jugés après la chute de Robespierre, sont acquittés par le Tribunal révolutionnaire. Redevenu avocat, il prend la défense des membres du comité révolutionnaire de Nantes, ainsi que de la plupart des chefs vendéens, dont le général Charette. Il abandonne cette profession, peu après, pour ne plus se consacrer qu'à la littérature. Sous l'Empire et la Restauration, il prend part à la rédaction de plusieurs journaux dont La Quotidienne et le Courrier français. Il traduit des auteurs latins, Ovide et Virgile. Par ailleurs, il détient une remarquable collection de livres et surtout d'autographes, en particulier de l'époque révolutionnaire. Il est un des premiers à avoir propagé le goût des autographes en France. Après sa mort en 1846, sa collection a été dispersée ; une partie a été mise en vente (aux enchères) par sa fille Mélanie en 1865.
Des (Dangers) des Insurrections est le principal ouvrage politique de Théophile Mandar. Ecrit à compter de février 1792 puis pratiquement au jour le jour tout au long de cette même année, et sans doute encore remanié jusqu'à son impression à la fin de février 1793, l'auteur y défend ardemment la liberté du peuple. Après avoir passé en revue l'historique des mouvements populaires, de la nécessité même des insurrections rendues justes et légitimes par les circonstances imposées par les tyrans, l'auteur propose et expose les moyens pour les prévenir. Page 203 Mandar écrit : "Citoyens ! je le répète, faites torrent ; élevez et la voix et les armes ; citoyens ! convoquez dans un moment d'insurrection, et vos vertus civiques, et votre humanité, et votre amour pour la liberté, et un sentiment d'obéissance aux loix, et votre intrépide courage ; formez comme une mer agitée, et les tyrans périront sur le trône !...". Les chapitres se succèdent où l'auteur tente d'expliquer les origines de la révolution française et comment bien la mener pour éviter le chaos : quelle a été pour les nations l'origine du despotisme - combien il importe à un peuple qui a conquis la liberté, d'éviter les errreurs qui peuvent la détruire - la patrie est en danger - quelle devra être la conduite du roi et de ses ministres - Devra-t-on une pension aux Bourbons émigrés, à titre d'indemnité, pour leurs droits prétendus à la couronne - considérations sur l'hérédité du trône - Quelle peut être la meilleure forme de gouvernement - Des moyens d'anéantir la royauté telle que nous l'avons vue, et telle qu'elle subsiste encore, malgré les restrictions auxquelles la constitution l'a soumise - etc. KL'auteur invoque dans plusieurs chapitres les écrits d'Algerson Sydney.
Mandar n'a jamais pu ou jugé bon de donner une seconde édition à ce pamphlet politique brûlant publié au tout début de l'année 1793. Robespierre devient tout puissant en ce printemps 1793. Après les journées du 31 mai et du 2 juin 1793, il entre le 27 juillet 1793 au Comité de salut public, où il participe à l'instauration d'un gouvernement révolutionnaire et de la Terreur, dans un contexte de guerre extérieure contre les monarchies coalisées et de guerre civile (insurrections fédéralistes, guerre de Vendée…). Lors des massacres de septembre, vice-président de la section du Temple, il se rend le 3 septembre, vers six heures du soir, chez le ministre de la justice Danton, où se sont déjà réunis tous les ministres sauf Roland, Lacroix président de l’Assemblée législative, les secrétaires de cette assemblée, Pétion, maire de Paris, Robespierre, Camille Desmoulins, Fabre d'Églantine, Manuel, plusieurs membres de la Commune et les présidents des quarante-huit sections. Cette réunion a été provoquée par les progrès que faisait l’armée prussienne, qui, après s’être emparée de Verdun, pénètre en Champagne. Comme on ne s’occupe que des moyens d’arrêter les progrès de l’armée prussienne, Mandar interrompt la délibération pour s'opposer aux massacres qui ensanglantaient la capitale : « Toutes les mesures de salut extérieur sont prises ? Occupons nous donc à l’heure même de l’intérieur. » Il propose d’assembler sur-le-champ toute la force armée et demande que tous les citoyens présents se forment en autant de groupes qu’il y avait de prisons où l’on massacre et qu’il s’y rendent en se chargeant, soit par l’ascendant de leur discours, soit par les moyens de l’autorité réunie à la force, de faire cesser des massacres, « qui souilleraient pour jamais le nom français. » Cette proposition parut être écoutée avec intérêt, mais Danton, le regardant froidement, lui dit : « Assieds-toi, cela était nécessaire. » Plein de son idée, Mandar, sans perdre courage, tira Robespierre et Pétion à part, et eut avec eux la conversation suivante : « Te souviens-tu, dit-il au premier, que le 17 aout, tu demandas à la barre du corps législatif, au nom de la commune, et sous peine d’insurrection, que l’on organisât un tribunal pour juger les accusés dans l’affaire du 10 ? — Oui. — Tu n’as pas oublié que Thuriot écarta la proposition, par la raison qu’elle était accompagnée d’une menace ? — Je me le rappelle, dit Robespierre ; tu vins à la barre ; Thuriot fut interrompu : tu improvisas une harangue véhémente, et obtins l’établissement du tribunal dont j’avais sollicité la création. — Ainsi, reprit Mandar, tu peux juger de mes moyens oratoires ? — Oui, mais au fait. — Eh bien, si Pétion et toi êtes de mon avis, Lacroix et les secrétaires de cette assemblée sont de l’autre côté, nous allons les prévenir : si demain, vous consentez à m’accompagner à la barre de l’assemblée, je prends sur moi d’imiter les Romains dans ces temps de crise ; et, pour arrêter sur-le-champ, je demanderai qu’il soit créé un dictateur : je motiverai ma demande : ma voix retentira comme le tonnerre : oui, pour faire cesser ces massacres, j’aurai l’audace de le proposer ; il ne le sera que vingt-quatre heures, il ne sera puissant que contre le crime. La dictature arrêtera le sang… les massacres cesseront… ils cesseront à l’instant même… — Garde-toi de cela, Brissot serait dictateur ! — Oh Robespierre, répliqua Mandar, ce n’est pas le dictateur que tu crains, c’est Brissot que tu hais ! ». Mandar est revêtu, en 1793, du titre de commissaire national du conseil exécutif de la République française, et la Convention lui accorde une gratification de 1 500 francs. Il est ensuite traducteur d’ouvrages politiques anglais et lui-même auteur d'ouvrages de réflexion politique. Le gouvernement impérial lui accorde également diverses sommes mais il n’en est pas moins toujours dans un état voisin de l’indigence jusqu’à sa mort. En 1814, le tsar Alexandre Ier est curieux de le voir et, comme il était d’une très petite stature, ce monarque lui ayant exprimé sa surprise : « Sire, lui répond fièrement le vieux républicain, il n’y a rien de si petit que l’étincelle. » On raconte que Bonaparte, qui avait lu des passages de son poème le Chant du crime, désire en voir l’auteur et est pareillement frappé de sa petite taille, déclarant qu’il ne reconnaît pas « l’homme du manuscrit ».
La découverte fortuite de l'exemplaire même de l'auteur de Des (Dangers) des Insurrections est un de ces petits miracles de l'histoire et du hasard. Avoir ce volume en mains, véritable ode à la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes, écrit à chaud, est très émouvant. Mandar croit en une sorte d'insurrection permanante pacifique, au sein de laquelle la violence n'aurait plus tant de place qu'auparavant. Il prend d'ailleurs pour modèle le travail législatif sur l'abolition de l'esclavage (effective seulement le 4 février 1794). Tout le texte qu'il contient est criant de vérités intemporelles qu'on aurait bon compte de relire aujourd'hui avec la plus grande attention, en ce début de XXIe siècle tourmenté.
Précieux exemplaire de l'auteur, corrigé, annoté, relié à l'époque, et passé par les mains du bibliophile collectionneur d'autographes Villenave.
Prix : 2.000 euros