mardi 27 février 2024

Précieux exemplaire de la bibliothèque d'Elisabeth Charlotte d'Orléans (1676-1744), nièce de Louis XIV, fille de Monsieur. Les Aventures de Jacques Sadeur dans la découverte et le voyage de la terre australe. Contenant les coutûmes et les moeurs des Australiens, leur religion, leurs exercices, leurs études, leurs guerres, les animaux particuliers à ce pays, et toutes les raretés curieuses qui s'y trouvent. Par Gabriel de Foigny (et remanié par François Raguenet). A Paris, chez Claude Barbin, 1692.


[FOIGNY, Gabriel de] [RAGUENET, Abbé François] [Exemplaire aux armes d'Elisabeth Charlottte d'Orléans, nièce de Louis XIV et fille de Monsieur, frère du roi et de la Princesse Palatine]

Les Aventures de Jacques Sadeur dans la découverte et le voyage de la terre australe. Contenant les coutûmes et les moeurs des Australiens, leur religion, leurs exercices, leurs études, leurs guerres, les animaux particuliers à ce pays, et toutes les raretés curieuses qui s'y trouvent.

A Paris, chez Claude Barbin, 1692 [de l'imprimerie de Laurent Rondet]

1 volume in-12 (16,5 x 9,5 cm | Hauteur des marges : 160 mm) de (16)-341-(3) pages.

Reliure strictement de l'époque plein veau brun marbré à l'acide, dos à nerfs orné aux petits fers, tranches blanches. Dos orné avec pièce de titre de maroquin rouge bien conservé. Intérieur avec quelques taches et salissures sans gravité. Collationné complet. Exemplaire ayant été restauré (Olivier Maupin).

Première édition sous ce titre et sous cette forme en grande partie originale.

Précieux exemplaire aux armes d'Elisabeth Charlotte d'Orléans, nièce de Louis XIV, fille de Monsieur.


Ce roman ou voyage utopique parait pour la première fois en 1676 sous le titre "La Terre Australe connue : c'est à dire la Description de ce pays inconnu jusqu'ici, de ses moeurs et de ses coutûmes, par Mr. Sadeur, avec les Avantures qui le conduisirent en ce Continent, etc. Ce volume paraît sous l'adresse "A Vannes, par Jacques Verneuil, 1676". En réalité le volume a été imprimé à Genève, sans permission. L'auteur, Gabriel de Foigny, était un moine défroqué décrit par Frédéric Lachèvre comme "un vulgaire paillard, un déséquilibré complet". De Foigny était membre de l'ordre des Cordeliers exilé en Suisse et converti au protestantisme. Son texte fait partie des utopies basées sur l'exploration d'un pays inconnu peuplé d'hommes aux moeurs singulières. En effet, De Foigny décrit une société d'hermaphrodites (Jacques Sadeur étant lui-même hermaphrodite) où les enfants non androgynes sont étouffés à la naissance. L'ensemble du texte tient de la défense de la libre pensée libertaire, des libertés de pensées religieuses (le soleil est leur unique dieu) ; l'auteur y montre une société égalitaire et végétarienne, qui ne connait pas la propriété privée, etc. Jacques Sadeur vécut parmi les Australiens pendant 35 ans. "Il ne put connaître ni quand ni comment s'y faisait la génération. Le goût de la mort était assez vif en terre australe pour que les habitants mangeassent le fruit du sommeil éternel. Il en résultait à certains moments un dépeuplement tel qu'il fallait obliger les Australiens à présenter trois enfants à l'assemblée." Jacques Sadeur est finalement rejeté par ce peuple et récupéré par un bateau.


Pour cet ouvrage De Foigny comparait en justice seulement dix mois après la parution du livre afin qu'il se justifie du contenu de l'ouvrage qui va à l'encontre des enseignement de l'église (hérétique). Afin d'échapper à une condamnation, De Foigny se désigné comme traducteur seulement et non comme auteur de l'ouvrage. Sans doute l'auteur avait prévu de corriger son texte pour le rendre moins scandaleux dans une nouvelle édition. Une seconde édition (la nôtre) largement remaniée sera donnée sous un titre définitif en 1692, par les soins de l'abbé Raguenet et très probablement sur les corrections et indications de De Foigny lui-même qui meurt cette même année. Une édition donnée en 1705 est strictement identique à cette édition de 1692 et sera encore remise en vente avec un nouveau titre en 1732 (Amstedam, D. Mortier). Les exemplaires de 1732 seraient en réalité les exemplaires invendus de l'impression de 1705.









"Au terme d'une série de naufrages et d'épreuves initiatiques dont le caractère de mort très symbolique est très fortement marqué, Sadeur, le héros de Foigny, découvre dans la Terre Australe, aux antipodes de l'Europe d'où il vient, une société « idéale » conforme en apparence aux stéréotypes habituels du genre utopique : urbanisme géométrique en damier, organisation rationnelle de tous les aspects de la vie, absence de propriété privée et de monnaie, communisme économique, égalitarisme, religion déiste. Par deux aspects toutefois cette utopie échappe à la banalité. Les Australiens présentent la particularité d'être hermaphrodites ; possédant les deux sexes, ils sont dotés de la faculté de s'auto-reproduire et ont la sexualité en horreur, considérant même comme des animaux tous les êtres sexués. Ils vivent, d'autre part, dans une société dépourvue d'organisation étatique et même de toute instance supra-individuelle. C'est que, être idéalement rationnels, ils ne peuvent vouloir que ce que veut la Raison, donc tous nécessairement les mêmes choses ; d'où une liberté absolue, sans contenu cependant, puisqu'elle se confond avec la nécessité, rendant inutile la contrainte collective. Parfaits, autosuffisants, indemnes de toute dépendance et de toute différence puisque tous rigoureusement semblables, exonérés des passions et des appétits inhérents à notre condition, les Australiens de Foigny incarnent la fiction théologique de ce qu'aurait pu être une humanité prélapsaire, ainsi que le suggère le narrateur : A voir ces gens, on dirait facilement qu'Adam n'a pas péché en eux, et qu'ils sont ce que nous aurions été sans cette chute fatale. [...] Pierre Bayle, le premier et longtemps le seul, a parfaitement perçu [article Sadeur de son Dictionnaire] la portée prioritairement théologique d'une fiction où beaucoup d'interprètes ont voulu voir exclusivement une utopie socio-politique, sinon même l'anticipation de la société communiste de l'avenir. [...] La Terre Australe Connue peut donc s'interpréter non comme une réécriture satirique ou une variation ludique sur le scénario canonique de la Genèse, mais comme le développement logique, à partir d'une virtualité non actualisée du récit biblique, d'un possible historique autre de la Création : qu'auraient été le monde et l'homme sans la Chute ?" (Jean-Michel Racault, « Nulle-part et ses environs », Paris : Presses de l'université de Paris-Sorbonne, 2003 (pp. 85-86, 105 etc.).

"Les habitants de cette Isle ont une grande vénération pour le Soleil, & ils le regardent comme le maître & le dispensateur de toutes les bénédictions. Ils ne manquent jamais de lui offrir des sacrifices, & ils croient qu'il est le seul vrai Dieu. [...] "Les habitants sont persuadés que les Cieux les regardent favorablement, & qu'ils ont un commerce avec les Etoiles. Ils m'apprisrent aussi qu'ils avoient été autrefois hommes, mais que le Ciel les ayant déclarés trop bons & trop justes, ils les avoit changés en hommes, & les avoit élevés au-dessus de toutes les créatures." (extraits)


Provenance : de la bibliothèque d'Elisabeth Charlotte d'Orléans (1676-1744) avec ses armes dorées sur les plats. Élisabeth-Charlotte d’Orléans était petite-fille de France, dite « Mademoiselle de Chartres », ensuite « Mademoiselle » en tant qu'aînée des petites-filles du roi Louis XIII, membre de la Maison de France, née le 13 septembre 1676 à Saint-Cloud et morte le 23 décembre 1744 à Commercy, elle est la fille de « Monsieur » duc d'Orléans et frère de Louis XIV de France (nièce de Louis XIV), et d'Élisabeth-Charlotte de Bavière, princesse Palatine ; elle épousa le duc de Lorraine et de Bar Léopold Ier. Elle assuma la régence des Duchés pour son fils retenu à Vienne de 1729 à 1737 puis fut investie à titre viager de la principauté de Commercy. Si elle ne put marier sa fille Élisabeth-Thérèse à Louis XV, elle est, par son fils François, époux de Marie-Thérèse d'Autriche, la grand-mère de Marie-Antoinette et l’ancêtre de tous les Habsbourg-Lorraine actuels. Les armes poussées sur ce volume sont celles de sa bibliothèque avant son mariage (avant 1698 donc).

Histoire de ce volume : Ce volume a ensuite été perdu pour échoir dans la bibliothèque d'une famille de roturiers (peu soigneux), la famille Blanc dont le volume porte sur les gardes les signatures allant de 1764 à 1805 avec plusieurs propriétaires successifs (Benoît blanc en 1764, Claude puis Gérard puis Pierre Blanc en 1805). Le volume a été redécouvert au début du XXI siècle (2023) dans un piteux état de conservation. Il été longtemps abandonné, sans doute près de deux siècle. Les mors de la reliure étaient fendus, les coins usés, les coiffes arrachées, le cuir sec et fragile, l'intérieur avec salissures. Mais ce volume pouvait et méritait d'être sauvé. Une restauration professionnelle de sauvegarde a été entreprise par Olivier Maupin (facture des frais de restauration fournie à l'acheteur) pour rendre à ce volume de prestigieuse provenance l'éclat qu'il pouvait avoir à l'origine. Très peu de volumes de la première bibliothèque d'Elisabeth Charlotte d'Orléans sont aujourd'hui connus. Dans un écu en losange, elle portait d’azur à trois fleurs de lys d’or et au lambel d’argent (qui est d’Orléans), armes héritées de son père Philippe d'Orléans. L'écu, entouré de palmes, étaient timbré de la couronne des enfants/petits-enfants de France. Cette composition, peu originale, se retrouve sur la reliure de ses livres. On sait qu'Elisabeth Charlotte d'Orléans possédait un manuscrit relié à ses armes et composées de vignettes peintes illustrant les Contes de Perrault (1695). Ce manuscrit a été acquis par la Pierport Morgan Library en 1953. Ce manuscrit enluminé des Contes de Perrault ainsi que notre exemplaire des Aventures de Jacques Sadeur montrent l'intérêt que portait la jeune altesse royale aux textes profanes.


Ce volume est d'autant plus intéressant que l'ouvrage utopique et condamnable est atypique dans une bibliothèque de la famille royale.

Références : Frédéric Lachèvre, Les successeurs de Cyrano, pp. 165-167 ; Versins, 338

Précieux exemplaire de provenance royale de ce texte utopique curieux.

Prix : 3.500 euros