AZAÏS, Pierre Hyacinthe
Des Compensations dans les Destinées Humaines, par H. Azaïs.
A Paris, chez Garnery, Leblanc imprimeur, 1809
1 volume in-8 (20,2 x 13,2 cm) de (6)-XIV-(2)-335 pages.
Reliure strictement de l'époque plein veau granité à l'acide, triple-filet doré en encadrement des plats, dos lisse orné de palettes dorées, faux-nerfs dorés, pièce de titre de maroquin noir, filet doré sur les coupes, tranches marbrées, doublures et gardes de papier marbré coordonné à la marbrure des tranches. Très bon état, avec quelques minimes frottements à la reliure. Intérieur frais.
Edition originale.
L'ouvrage s'ouvre sur une épître à Madame Adèle Berger qui deviendra son épouse. Aujourd'hui ce texte est pour ainsi dire oublié. Azaïs ne tira pas 350 francs des deux premières éditions des Compensations. Il connut cependant plusieurs éditions et son auteur eut le mérite de la persévérance dans la propagation de son système.
"Dans ce livre qui parut en 1809, et qui a été inspiré par un véritable sentiment religieux et une philosophique appréciation des événements et des accidents dont se compose la vie, l'auteur pose en principe cette proposition : Le sort de l'homme, considéré dans son ensemble, est l'ouvrage de la nature entière, et tous les hommes sont égaux par leur sort. Or, dit plus loin Azaïs, « le sort de l'homme se compose de l'état de son corps, de l'état de son esprit et de l'état de sa fortune et il examine à ce triple point de vue toutes les positions, tous les états, tous les âges, en un mot, les aspects multiples sous lesquels se présente l'ensemble de la société ; il énumère les avantages et les inconvénients, les plaisirs et les peines, au point de vue physique comme au point de vue moral, attachés à toute fraction distincte de l'humanité, et il établit que chaque accident trouve sa compensation ou son correctif dans un accident contraire. Ainsi, dans l'individu isolé, les éléments de sa personnalité et de sa situation se compensent l'un par l'autre ; les qualités, les facultés, par des défauts qui dérivent de leur nature même ; les biens de la fortune, par les dangers auxquels ils exposent la satiété qu'ils produisent, les inquiétudes sans nombre qui en sont la suite inévitable. Au contraire, dans tout système de communauté, tel que le mariage, par exemple, ce sont les individus qui se compensent mutuellement. Dans cette revue générale des compensations qui s'attachent à la fortune, au mariage, à l'enfance, à l'adolescence, à la jeunesse, à l'âge mûr, au titre de père, au sort des femmes, à l'organisation individuelle, au séjour des villes et au séjour des campagnes, l'auteur fait entrer celles qui dépendent de certaines professions, et trace ainsi un tableau complet des joies et des misères de l'humanité. De ce système universel de compensations, Azaïs fait découler l'équilibre du monde moral, et la seule vraie égalité qui ne soit pas illusoire, la seule que l'homme ait le droit de revendiquer ; il en fait la condition indispensable, l'essence même du lien qui nous rattache les uns aux autres. Le système des compensations est tout entier résumé dans les lignes suivantes : « Oh ! quoi s'écrie Azaïs, le malheur ainsi que la destruction fait donc sans cesse le tour du monde ? Mais que peut être le malheur, si ce n'est le fruit de la destruction? Et si cette définition est vraie, ou même puisqu'elle est évidente, que peut être le bonheur si ce n'est l'oeuvre de la puissance qui compose, qui répare, qui construit ? Or, la destruction n'est-elle pas une puissance nécessaire ? N'est-ce pas toujours dans les débris d'anciens ouvrages que sont puisés les éléments de composition nouvelle ? Et la somme générale de destruction n'est-elle pas nécessairement et rigoureusement égale à la somme de composition, puisque l'univers se maintient et que ses lois sont invariables ? Ainsi il le faut, et l'observation le démontre, tous les êtres alternativement se forment et se décomposent. Les êtres sensibles sont soumis à cette loi, comme ceux qui ne sont pas sensibles. Mais ces derniers sont indifférents, et à la formation qui les élève et à la décomposition qui les détruit. Les êtres sensibles, au contraire, reçoivent un plaisir, une puissance, un bonheur, pendant toute la durée des opérations ou acquisitions qui les forment, les développent ; ils reçoivent une peine, une douleur, un malheur, pendant toute la durée des opérations qui leur enlevé ce qu'ils ont acquis. L'être qui, dès le premier moment de son existence a été environné du plus grand nombre de biens et d'avantages est celui qui a fait les acquisitions les plus nombreuses, qui a été formé avec le plus de perfection et d'étendue qui, pour cette raison, a eu le plus de bonheur et de plaisir ; sa destruction doit être la plus abondante en regrets et en souffrances. Les opérations de cette puissance cruelle sont en ceci, non-seulement plus multipliées, mais encore plus vivement senties. Ainsi le malheur, dans cet être privilégié, a deux causes d'intensité plus fortes, et ces deux causes sont exactement celles qui avaient rendu son bonheur plus étendu et plus parfait. Cette loi de succession, de retour, d'équilibre, embrasse nécessairement tout ce qui, n'étant pas éternel, s'accroît, s'arrête, se dégrade et se détruit. Ainsi, le sort des sociétés humaines, et plus généralement encore de toutes les institutions humaines, est figuré par le sort des individus. Pour l'observateur attentif et impartial, la loi des compensations est la loi de l'histoire. Le principe d'un balancement général dans les destinées humaines est celui que les moralistes et les philosophes de tous les siècles devaient d'abord apercevoir, car il n'en est pas de plus ancien, de plus constant, de plus vrai et de plus simple. C'est qu'en effet tous les hommes reconnaissent ce principe, et, sans y songer, l'appliquent sans cesse ; chez tous les peuples, quel que soit l'âge de leur civilisation, il est un ordre de vérités populaires ayant reçu le titre de proverbes qui forment, pour les hommes de toutes les classes, une sorte de philosophie usuelle et consacrée. L'explication la plus simple de ces vérités populaires, celle qui se présente le plus naturellement, les rattache presque toutes au principe d'un balancement exact entre les effets et les causes, entre toute action et la réaction qui lui succède, en un mot, au principe général des compensations. On le voit, cette doctrine des compensations est la justification de l'ordre établi par la Providence ; c'est la maxime célèbre de l'optimisme développée à l'appui d'une pensée religieuse, et transportée du domaine de la science dans celui de la morale. Il ne faut donc pas chercher dans ce livre des vues profondes et originales, mais on y rencontre des aperçus fins et ingénieux, des vérités exprimées avec justesse et sous un jour tout nouveau. On sent, de plus, que l'auteur est convaincu ; les idées qu'il expose doivent leur naissance à de profondes méditations et à une expérience qui semble agrandie par de douloureuses épreuves. Voilà pourquoi ce livre sera toujours lu avec plaisir par ceux qui ont souffert, et qui désespèrent de trouver un soulagement à des peines qu'ils croient sans compensations." (Pierre Larousse, Grand Dictionnaire Universel, Tome 4, p. 776).
Né à Sorèze (Tarn) en 1766, mort a Paris en 1845. Son père était professeur de musique au collège de Sorèze et c'est là qu'Azaïs fit des études moitié littéraires, scientifiques, jusqu'à l'âge de seize ans. Brusquement lancé dans le monde sans autre appui que celui de son père, marié en troisièmes noces et peu soucieux de son fils, Azaïs devint sombre, rêveur, mélancolique, se heurta de front aux premiers obstacles qu'il rencontra sur sa route, et, de dépit, résolut de s'enterrer dans un cloître. Quelques personnes bien avisées lui firent entendre raison, et obtinrent qu'avant de prononcer les vœux éternels, il entrât dans une congrégation religieuse où l'on pouvait ne s'engager que pour un an. Le jeune homme écouta ces conseils et se fit admettre, en 1783, dans la congrégation des doctrinaires, où il connut plusieurs hommes remarquables tels que Daunou, Laromiguière, etc. Cependant il reconnut bientôt qu'il avait pris une fantaisie de son imagination pour une véritable vocation, et il s'estima fort heureux d'être envoyé, après six mois de noviciat, au collège de Tarbes, comme régent de cinquième. Cette seconde situation lui déplut presque autant que la première et il saisit avec empressement l'occasion d'en sortir en acceptant la proposition que lui fit l'évêque d'Oléron de devenir son secrétaire. Mais Azaïs ne devait pas sitôt se fixer dans la vie. Les relations que son nouveau poste lui imposait avec les prêtres, vicaires, chanoines et autres ecclésiastiques de la cathédrale lui devinrent en peu de temps insupportables, d'autant mieux qu'on ne cessait de l'engager à prendre la soutane, et, un beau jour, il s'en revint à Toulouse, où son père était établi depuis peu ; tout était a recommencer. Il voulait entrer dans les ponts et chaussées ; son père désirait qu'il se fit avocat ; une place organiste se présenta, il obtint et alla en prendre possession à l'abbaye de Villemagne, près Béziers. Tout nouveau, tout beau. Ce fut d'abord un ravissement véritable, un enthousiasme sans bornes pour les splendeurs agrestes de la campagne dans laquelle il se trouvait enterré. Puis l'ennui survint ; un moyen se présenta de le secouer, et il se garda bien de le laisser échapper. Il devint précepteur des fils du comte du Bosc, riche propriétaire des Cévennes, et demeura chez lui jusqu'à la Révolution. D'abord partisan des idées nouvelles, Azaïs les répudia bientôt, ce qui fut l'occasion de son premier écrit, et, condamné pour ce fait à la déportation il fut obligé de chercher un refuge à l'hôpital des sœurs de la Charité de Tarbes, où il passa dix-huit mois. M. Guadet, l'auteur d'une notice très-complète sur Azaïs, et à qui nous empruntons les détails de cette biographie a raconté tout au long le séjour du philosophe dans cet asile de la charité où, parait-il, il jeta les premières bases de son système, qui tend à établir que tout se compense : la destruction et la recomposition dans le monde physique ; la douleur et le plaisir dans le monde moral. Nous ne suivrons pas Azaïs dans toutes ses pérégrinations à travers la France ; il nous a suffi de donner une idée de l'existence nomade qu'il mena pendant la plus grande partie de sa jeunesse. Il avait, dit M. Guadet, connu Mme Cottin à Bagnères, et un projet de mariage avait été formé ; mais les circonstances empêchèrent qu'il n'y fut donné suite. Revenu à Paris en 1808, il annonça la philosophie des Compensations par quelques opuscules qui eurent un succès de curiosité. Napoléon, on le sait, n'aimait pas les idéologues ; mais tout système qui tend inspirer la résignation au peuple est toujours bien accueilli des puissants, et loin d'empêcher Azaïs de publier ses idées philosophiques, le gouvernement impérial l'encouragea en lui donnant une place de professeur au prytanée de Saint-Cyr (c'est à Saint-Cyr qu'il connut et épousa Mme Berger, veuve d'un officier mort à Austerlitz). De retour une fois encore à Paris, après dix-huit mois de séjour au prytanée, qu'il quitta lors de la translation de cette école à La Flèche, Azaïs se décida à publier son livre des Compensations, qui, lui fournit rapidement une sorte de célébrité, mais peu d'argent, et il lui fallut de nouveau solliciter, du gouvernement la place d'inspecteur de la librairie à Avignon. Il l'obtint en 1811 et fut envoyé l'année suivante, avec le même titre, à Nancy, où il resta jusqu'à l'arrivée des alliés. En 1815, il écrivit un livre plein de zèle pour la cause de Napoléon, et dès lors il s'aliéna le plus grand nombre de ses protecteurs. Pendant plusieurs années il vécut à Paris, dans un état voisin de la détresse mais enfin grâce à de puissantes influences, il obtint de M. Decazes une pension de 6,ooo francs, et put dès lors se livrer à son aise à ses spéculations philosophiques. Il publia successivement une série de volumes, parmi lesquels les Inspirations religieuses, le Cours de philosophie religieuse, l'Explication universelle, etc., etc. ; et, non content de propager ses idées par les livres, il recourut à la parole, qu'il avait, paraît-il, éloquente et persuasive. « On a beaucoup parlé dit M. Guadet, des conférences tenues par Azaï au milieu de son jardin, dans les années 1827 et 1828. Deux fois par semaine, à la chute du jour, ce jardin vaste et tranquille se remplissait d'une société nombreuse ; un modeste amphithéâtre, ombragé de grands arbres, se couvrait d'hommes graves, de jeunes gens studieux, de dames élégantes ; Azaïs arrivait bientôt. Son âge, ses longs cheveux blancs, la simplicité de son maintien et de son costume, son air de bonté, tout disposait a une bienveillante attention. » Nous nous sommes étendus longuement, ailleurs (article Compensations), sur le système philosophique d'Azaïs et la valeur qui, suivant nous, doit lui être accordée ; nous nous contenterons de donner ici la liste de ses ouvrages, en dehors de celui qui sauvera peut-être son nom de l'oubli. Ce sont Système universel (1813) ; Manuel du philosophe (1816) ; Du sort de l'homme dans toutes les conditions (1820) ; Jugement impartial sur Napoléon (1820) ; Cours de philosophie générale (1824) ; Explication universelle (1826) ; De la Phrénologie ; du Magnétisme et de la Folie ; Explication du puits de Grenelle (1843).
Le Livre Sixième s'intitule : Des Compensations qui s'attachent à la fortune. En voici un extrait choisi : Les hommes qui possèdent les dons de la fortune ont rarement de vrais amis. Le sort de l'homme qui jouit des biens de la fortune excite l’envie ; c’est une des compensations attachées à ces biens mêmes. Celui qui excite l’envie n’est pas aimé. A la vérité, parmi les hommes favorisés de la fortune, il en est, et peut-être en assez grand nombre, qui sont bien aises qu’on leur porte envie, qui considèrent même cette envie, qu’ils excitent, comme la principale jouissance attachée à leur état de prospérité. Ces hommes sont ceux sur qui la fortune a produit presque tous ses effets funestes. Leur âme est insensible, puisqu'ils peuvent se faire un plaisir de la peine qu’ils occasionnent ; de plus, elle manque de grandeur et d’étendue, puisqu'un avantage, qui n'est rien moins qu’un mérite, satisfait leur vanité. Ces hommes sont environnés de flatteurs, de courtisans avides, qu’ils reconnaissent ordinairement pour tels, et à qui ils craignent de se confier, mais qui, par cela même, leur ont donné l’habitude de croire que les hommes sans fortune ne s’attachent que par cupidité ; que même les hommes qui ont de la fortune désirent en avoir davantage, et n'ont pas d’autres motifs de s'attacher. Ne sont-ils pas bien malheureux, mon ami, de ne pouvoir croire a l’affection désintéressée, de ne pouvoir se persuader que, jusque dans les rangs inférieurs, il existe des âmes généreuses ? Tous les hommes qui ont reçu les dons de la fortune sont loin d’être compris parmi ceux que je viens de désigner. Il en est qui ont un bon cœur, une âme étendue, et qui savent aimer. Ceux-là trouvent des âmes généreuses qui s’attachent à eux pour leurs qualités, et non pour leur fortune ; ils ont alors, sur les hommes généreux et sans fortune, l’avantage de pouvoir favoriser le bonheur de leurs vrais amis. (pp. 139-140, édition originale, 1809).
Outre l'édition originale de 1809 il a été fait une deuxième édition en 1810 (imprimée chez Leblanc également) en 3 volumes in-8. Elle comprend 2 volumes d'applications de la philosophie de l'auteur. La troisième édition date de 1818 (Paris, Ledoux et Tenré) et est également en 3 volumes in-8. La quatrième édition est en 3 volumes in-12 et date de 1825, avec portrait. Une cinquième édition posthume paraîtra chez Firmin Didot en 1846, revue avec soin sur un exemplaire annoté par l'auteur, précédée d'une notice sur sa vie et ses ouvrages et ornée de son portrait (1 volume petit in-8 de XLVIII-528 pages.
Bel exemplaire d'un ouvrage curieux, ici très bien relié à l'époque.
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