lundi 27 janvier 2020

Vauban. Projet d'une dixme royale. 1708. Très bon exemplaire en condition d'époque. ""LES ROIS ONT UN INTÉRÊT RÉEL ET TRÈS ESSENTIEL A NE PAS SURCHARGER LEUR PEUPLE, JUSQU’À LES PRIVER DU NÉCESSAIRE."


Vauban (Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban, Maréchal de).

Projet d'une dixme royale. Qui supprimant la Taille, les Aydes, les Douanes d'une Province à l'autre, les Décimes du Clergé, les Affaires extraordinaires ; et tous autres Impôts onéreux et non volontaires : Et diminuant le prix du Sel de moitié et plus, produirait au Roy un Revenu certain et suffisant, sans frais ; et sans être à charge à l'un de ses sujets plus qu'à l'autre, qui s'augmenterait considérablement par la meilleure culture des terres. Par Monsieur le Maréchal de Vauban, Chevalier des Ordres du Roy, Commissaire Général des Fortifications et Gouverneur de la Citadelle de Lille.

S.l.n.n., 1708 (imprimée en France, probablement à Rouen)

1 volume petit in-8 (17 x 10,5 cm) de XVI-272 pages. Portrait de l'auteur en frontispice (ajouté contrecollé). 3 tableaux repliés.

Reliure de l'époque pleine basane marron, dos à nerfs orné, tranches mouchetées. Reliure solide. Petite réparation de fortune en tête du dos, ors du dos légèrement frottés, éraflures et épidermures sur les plats, quelques usures et marques sans gravité. Intérieur frais. Bon papier, resté bien blanc dans l'ensemble.

Nouvelle édition.



"Le maréchal de Vauban va plus loin que Boisguilbert : il propose les suppressions de tous les impôts et leur remplacement par un seul, la dîme royale, qui sera de deux sortes, l'une sur les terres, l'autre sur le commerce et l'industrie. "Tout ou rien, dit-il, est la devise de ce projet : il doit être observé ou rejeté en tout, n'étant pas capable par sa nature, d'aucune compatibilité avec les autres." (Bourgeois et André, n°6702). "Le roi ne vit plus en lui qu'un insensé pour l'amour du public et qu'un criminel qui attentait à l'autorité de ses ministres, par conséquent à la sienne. Le malheureux maréchal, porté dans tous les cœurs français, ne peut survivre aux bonnes grâces de son maître, pour qui il avait tout fait." (Saint-Simon). Une demande de privilège de librairie pour un in-quarto intitulé Projet d’une Dixme royale a été déposée, sans nom d’auteur, auprès des services du chancelier, le 3 février 1707. Cette demande est restée sans réponse. L’auteur n’est pas cité, mais à la chancellerie, il est connu puisque nous savons que le chancelier lui-même est en possession du manuscrit. Sans réponse de la chancellerie, Vauban décide de poursuivre quand même l’impression. À partir de ce moment et de cette décision, il sait bien qu’il est hors-la-loi : son amour du bien public vient de l’emporter sur le respect de la loi. L’impression achevée, sous forme de feuilles, est livrées en ballots. Mais comment les faire entrer à Paris, entourée, on le sait, de barrières, bien gardées ? L’introduction de ballots suspects aurait immédiatement éveillé l’attention des gardes, et tous les imprimés non revêtus du « privilège » sont saisis. Aussi, Vauban envoie deux hommes de confiance (Picard, son cocher, et Mauric, un de ses valets de chambre), récupérer les quatre ballots enveloppés de serpillières et de paille et cordés, au-delà de l’octroi de la porte Saint-Denis. Chaque ballot contient cent volumes en feuilles. Les gardiens de la barrière laissent passer, sans le visiter, le carrosse aux armes de Vauban, maréchal de France. À Paris, rue Saint-Jacques, c’est la veuve de Jacques Fétil, maître relieur rue Saint-Jacques, qui broche la Dixme royale, jusqu’à la fin du mois de mars 1707, sous couverture de papier veiné, et relia quelques exemplaires, les uns en maroquin rouge pour d’illustres destinataires, les autres plus simplement en veau, et même en papier marbré (300 sans doute en tout). Ce sont des livres de 204 pages, in-quarto. Vauban en distribue à ses amis et les volumes passent de main en main (les jésuites de Paris en détiennent au moins deux exemplaires dans leur bibliothèque)… À noter qu’aucun exemplaire n’est vendu : aux libraires qui en demandent, Vauban répond « qu’il n’est pas marchand ». « Le livre de Vauban fit grand bruit, goûté, loué, admiré du public, blâmé et détesté des financiers, abhorré des ministres dont il alluma la colère. Le chevalier de Pontchartrain surtout en fit un vacarme sans garder aucune mesure et Chamillart oublia sa douceur et sa modération. Les magistrats des finances tempêtèrent et l’orage fut porté jusqu’à un tel excès que, si on les avait crus, le maréchal aurait été mis à la Bastille et son livre entre les mains du bourreau. » (Saint-Simon). Le 14 février 1707, le Conseil, dit « conseil privé du roi » se réunit. Il condamne l’ouvrage, accusé de contenir « plusieurs choses contraires à l’ordre et à l’usage du royaume ». Et le roi ordonne d’en mettre les exemplaires au pilon et défend aux libraires de le vendre. Pourtant aucun auteur n’est mentionné. Cette première interdiction n’affecte pas, semble-t-il, Vauban qui, tout au contraire, dans une lettre datée du 3 mars (à son ami Jean de Mesgrigny, gouverneur de la citadelle de Tournai), manifeste sa fierté face au succès de son livre : « … Le livre de la Dixme royale fait si grand bruit à Paris et à la Cour qu’on a fait défendre la lecture par arrest du Conseil, qui n’a servi qu’à exciter la curiosité de tout le monde, si bien que si j’en avois un millier, il ne m’en resteroit pas un dans 4 jours. Il m’en revient de très grands éloges de toutes parts. Cela fait quez je pourray bien en faire une seconde édition plus correcte et mieux assaisonnée que la première ...". C'est à Saint-Simon qu'on doit la légende selon laquelle Vauban serait mort de chagrin à cause de l'interdiction de la Dîme Royale. Cependant Vauban n'a été ni inquiété ni disgracié pour ce livre ; il est mort d'une fluxion de poitrine, maladie qui progessait chez lui depuis longtemps déjà. Néanmoins la Dîme royale fut une véritable affaire du royaume de France. L'interdiction de l'ouvrage lui valut un succès de curiosité amplifié par plusieurs éditions clandestines en petit format entre 1707 et 1708. C'est la ville de Rouen et ses libraires qui semblent à l'origine de la plus grande diffusion de ce texte. Vauban meurt le 30 mars 1707. Le plus grand des ingénieurs militaires du royaume de France laisse un texte rempli de bon sens et qui fait preuve de beaucoup de clairvoyance et d'honnêteté. Vauban déclare en préambule qu'il n'est "ni lettré, ni homme de finances", qu'il ne cherche ni "la gloire et des avantages, par des choses qui ne sont pas de ma profession". Vauban se déclare tout simplement "français, très affectionné de ma patrie, et très reconnaissant des grâces et des bontés, avec laquelle il a plût au roi de me distinguer depuis si longtemps [...]". Vauban a vu la misère du peuple de France. Il ne peut se résoudre à laisser le peuple dans un tel état. C'est ainsi qu'il écrit en guise conclusion, imprimée en lettres capitales (dans notre édition) : "LES ROIS ONT UN INTÉRÊT RÉEL ET TRÈS ESSENTIEL A NE PAS SURCHARGER LEUR PEUPLE, JUSQU’À LES PRIVER DU NÉCESSAIRE. Vauban écrit encore : "[...] il est constant que la grandeur des Rois se mesure par le nombre de leurs sujets ; c'est en quoi consiste leur bien, leur bonheur, leurs richesses, leurs forces, leur fortune, et toute la considération qu'ils ont dans le monde. On ne saurait donc rien faire de mieux pour leur service et pour leur gloire, que de leur remettre souvent cette maxime devant les yeux : car puisque c'est en cela que consiste tout leur bonheur, ils ne sauraient trop se donner de soin pour la conservation et augmentation de ce peuple qui leur doit être si cher. Ce petit livre, avec un siècle d'avance, marque un premier pas vers l'abolition des privilèges de 1789 et est en cela totalement révolutionnaire. Goubert disait de Vauban qu'il était "mesuré" et "juste". 




Très bon exemplaire en condition d'époque de ce texte majeur.

VENDU