Pierre MAC-ORLAN (auteur). Georges BRAUN (illustrateur). André DIDIER (illustrateur - aquarelles originales).
La maison du retour écœurant. Par Pierre Mac-Orlan. Décoration de G. Braun.
Collection de L'amour des Livres, René Kieffer, éditeur, Paris, s.d. (1929) [achevé d'imprimer le 10 janvier 1929 par Ducros et Colas à Paris].
1 volume petit in-8 (20,8 x 15,5 cm) de (4)-177-(2) pages. 20 aquarelles originales inédites par André Didier. Ornements géométriques art déco imprimés en deux couleurs à chaque page par Georges Braun.
Reliure plein veau brun estampé à froid d'un fin damier poussé à la plaque sur toute la surface du cuir, fer doré carré au centre des plats, auteur et titre doré au dos, tête dorée, non rognés, couverture illustrée en couleurs par Georges Braun conservée en parfait état (motifs art déco non figuratifs), doublures et gardes de papier marbré avec semi de poudre d'or. Reliure de l'époque signée René Kieffer avec son étiquette contrecollée au verso du premier plat. Infimes petites traces plus sombres sur les plats sinon superbe condition proche du neuf, dos légèrement éclairci.
Nouvelle édition.
Un des 50 exemplaires imprimés sur papier du Japon (numéroté au composteur).
Exemplaire unique enrichi à l'époque au moment de la reliure d'une très belle suite de 20 dessins originaux (encre de Chine et aquarelle) tous signés de l'illustrateur André Didier. Chaque dessin est placé à l'endroit qui correspond au dessin dans le texte (pagination manuscrite par l'artiste).
Premier roman publié par Pierre Mac-Orlan (Pierre Dumarchey) en 1912 aux éditions de la Bibliothèque humoristique, La maison du retour écœurant, au titre de prime abord des plus déroutants, est un roman d'aventures burlesques que l'on pourrait qualifier de "complètement fou". Raymond Queneau voyait dans ce livre un chef-d'œuvre de nonsense. Il a exercé une forte impression sur Boris Vian (Cf. Sylvain Goudemare, préface à La Maison du retour écœurant, in Le Rire jaune et autres textes, éditions du Sillage, Paris, 2008, p. 18.).
Nous en donnons le résumé tant l'histoire est à vous mettre la tête à l'envers : Thomas Turnlop tente de mettre en place un trafic de jus de viande à Hong Kong, mais il se heurte aux frères Jean et Pierre Mac Guldy, qui voient d'un mauvais œil l'établissement d'un commerce illicite qui pourrait faire de l'ombre à leur activité de contrebande d'opium. Ils promettent d'éliminer leur concurrent qui, à la suite de sa rencontre avec l'un des deux frères, est pris d'une telle frayeur que ses cheveux bruns deviennent blancs. Par compensation, sa peau blanche devient noire. Fuyant Hong Kong, Turnlop, bientôt surnommé le Corbeau Blanc, se retrouve à Haïti, où il obtient un poste de diplomate. Envoyé en France en qualité de vice-consul, il s'établit dans la petite ville de Trucheboeuf. Quelque temps plus tard, à la suite du décès de sa sœur, Turnlop devient le tuteur du fils de cette dernière, Paul Choux. Il fait également l'acquisition d'une femme, Lucy, et d'une domestique, Isabeau. Paul se rapprochant dangereusement de sa tante par alliance, Turnlop décide de l'envoyer lui chercher du tabac en Haïti. Le neveu s'exécute et, après diverses péripéties, revient avec le tabac réclamé par son oncle, qui le surprend en train d'embrasser Lucy. Prenant prétexte du fait que Paul ne lui a pas rapporté l'intégralité de la monnaie de l'argent qu'il lui avait remis pour l'achat du tabac (il manque un franc), Turnlop renvoie son neveu la chercher en Haïti. Paul échoue à Colombo, où il fait la connaissance de Jean Mac Guldy, tout aussi désargenté que lui. Tous deux ont l'idée d'assassiner un métisse nommé François Villon, après l'avoir emmené avec eux en Haïti. Une fois le meurtre commis, les deux hommes patientent une quarantaine d'années, puis font savoir que, contrairement à ce que l'on croyait jusqu'alors, l'Amérique n'a pas été découverte par Christophe Colomb, mais par François Villon, disparu au milieu du xve siècle. Pour preuve, ils montrent la sépulture de leur victime, où est bien inscrit le nom du poète français. Mais la supercherie ne leur apporte pas l'argent escompté. De dépit, Jean se tue en se renversant une tasse de thé brûlant sur la tête. Quant à Paul Choux, ayant par hasard retrouvé la pièce de un franc manquante dans sa poche, il se décide à retourner chez son oncle. Revenu en France caché dans une cargaison de bananes, il remet la pièce à celui-ci. Mais ils découvrent que cette pièce est d'une monnaie qui n'a plus cours. Turnlop chasse alors une dernière fois son neveu de chez lui, et « nul homme au monde ne peut savoir ce qu'il advint de Paul Choux, matelot breveté, et que Mac Guldy appelait frère, de l'autre côté de l'Atlantique. »
« Réjouissant barbouillage de jeunesse » d'après Gilbert Sigaux, « sorte de pont jeté entre Ubu et Dada» selon Nino Frank, ce « premier récit développé encore que décousu » de Mac Orlan est caractéristique de la première manière de son auteur, celle des contes et récits humoristiques inspirés de l'humour montmartrois du début du XXe siècle, voire des monologues de cabaret. Quant à l'influence du nonsense anglo-saxon, il trouve sans doute son inspiration dans les œuvres d'Alphonse Allais et de Gaston de Pawlowski. Enfin, la manière de décrire les personnages, campés d'un seul trait, montre que Mac Orlan a « transposé dans ses contes l’œuvre du caricaturiste qu'il voulait devenir » (avant de devenir écrivain Mac Orlan envisageait en effet de se lancer dans une carrière de peintre et de dessinateur.) (Bernard Baritaud, Pierre Mac Orlan. Sa vie, son temps, éd. Droz, 1992).
Pierre Mac Orlan, dans les deux préfaces qu'il a données à La Maison du retour écœurant (respectivement en 1924 et en 1945), a moins insisté sur la dimension humoristique et fantaisiste de son premier roman que sur l'arrière-plan d'amertume sur lequel il avait pris naissance : « mon récit est le premier de ceux que j'ai dédiés à la mauvaise chance », écrivit-il ainsi en 1945, et il fut écrit à une époque où il était « pétrifié de dégoût. [Ses] vêtements étaient en loques et personne ne tenait à [le] fréquenter. » (La Maison du retour écœurant, éditions Gallimard, 1970, pp. 12-13.)
Cette première période littéraire dans l’œuvre de Mac Orlan est également illustrée par les recueils de contes et nouvelles Les Pattes en l'air (1911), Les Contes de la pipe en terre (1913) et Les Bourreurs de crâne (1917), ainsi que par les romans Le Rire jaune (1914) et U-713 ou les gentilshommes d'infortune (1917), c'est-à-dire celle au cours de laquelle il est à la fois dessinateur et écrivain. Par la suite, à partir de 1917, l'écriture l'ocupera entièrement, et il délaissera la veine humoristique. Il est possible également que l'expérience de la Première guerre mondiale ait « quelque peu écœuré Mac Orlan de cette manière », ainsi que l'explique Raymond Queneau, qui remarque que celle-ci réapparaitra après la Seconde Guerre mondiale chez des auteurs tels que Boris Vian, qui aimait à rappeler l'influence que La Maison du retour écœurant avait exercé sur son œuvre. (Gilbert Sigaux, préface aux Pattes en l'air, édition des Œuvres complètes de Mac Orlan, Le Cercle du bibliophile, p. 7. Raymond Queneau, préface aux Œuvres complètes de Mac Orlan, p. XIX.)
Notre exemplaire contient une suite complète de 20 compositions très abouties par André Didier, probablement/peut-être commanditées par l'éditeur-relieur bibliophile René Kieffer, éditeur-relieur de l'édition. Cette suite est cependant restée inédite et n'a pas servi pour illustrer l'édition entière. Nous sommes ici en présence d'une très belle et très intéressante suite dessins originaux, tous humoristiques et fort étranges, en totale adéquation avec le texte de Mac-Orlan. On y voit des chameaux, des chinois, des langues coupées, un hommage à Villon, des marins et des poissons, et bien d'autres étrangetés encore, toujours finement dessinées et mises en couleurs à l'aquarelle par l'artiste. Tous les dessins sont signée à l'encre. Ces dessins non datés sont très probablement parmi ses premières créations de jeunesse (vers 1933-1940). La reliure a été faite par les ateliers René Kieffer avec ces dessins originaux ce qui indique que la reliure doit dater de la fin des années 1930 ou du début des années 1940.
"André DIDIER est né le 10 octobre 1918 à Colombes d une mère bretonne des Côtes d Armor et d'un père belge de la province du Luxembourg. Dès son enfance il montre de grandes dispositions pour le dessin, le portrait et la peinture. Il gagne un concours pour une création publicitaire : « café REX - le Roi du bon café » (Paris 12ème). A l'âge de 15 ans, il passe les concours d entrée aux écoles « Estienne », « Boulle » et « Arts Appliqués ». Il est reçu brillamment aux 3 concours. Il choisira l école « Estienne » d'où il sortira le 1er de sa promotion, section photogravure (1934/1937). Il sera photographe à Toulon où il créera, avec un ami, le « Studio Marc ». C est pendant son service militaire dans la marine (1938/1940), à bord du « Dunkerque », qu'il révélera ses talents de caricaturiste, en faisant les caricatures du commandant et de tous les officiers du bord. En parallèle il deviendra champion de Bretagne de plongeon au tremplin (1938) et champion de France de la marine (1939). A son retour, il créera des jouets en bois tournés à tirer, réalisera quelques courts métrages dans un ciné-club et deviendra illustrateur de livres de luxe aux Éditions de la Couronne (Paris 7ème)." (notice par Nadine Beauthac Bouchart, à l'occasion de l'Exposition de photographies et de peintures de Belleville, 15 et 16 septembre 2012).
Superbe exemplaire unique (contenant 20 aquarelles originales d'André Didier) de cet ouvrage bizarre illustré tout aussi bizarrement par un artiste de grand talent.
Prix : 2.800 euros