[COURTILZ DE SANDRAS, Gatien].
Mémoires de Monsieur d'Artagnan, Capitaine Lieutenant de la première Compagnie des Mousquetaires du Roi. Contenant quantité de choses particulières et secrètes qui se sont passées sous le règne de Louis le Grand.
A Amsterdam, chez Pierre Rougé, 1704 [titre à la sphère armillaire].
4 tomes reliés en 2 forts volumes in-12 (15 x 9,5 cm - Hauteur des marges : 145 mm) de (10)-456-(16) ; 440-(16) ; 478-(16) et 442-(22) pages. Bien complet du portrait de d'Artagnan en frontispice du premier tome.
Reliure demi-maroquin rouge à grain fin écrasé vieux rouge, dos à faux-nerfs, titre, tomaison et millésime dorés au dos ; plats, doublures et gardes de papier peigne coordonnés aux tranches marbrées de même. Impression sur papier fin. Légers frottements aux reliures néanmoins très bien conservées, intérieur très frais avec quelques feuillets plus ou moins teintés ou légèrement roussis. Reliure de très bonne facture exécutée vers 1850-1860.
Nouvelle édition.
C'est sur cette édition de 1704 (Amsterdam, Pierre Rougé) qu'Alexandre Dumas père a puisé son inspiration pour son roman le plus célèbre Les Trois Mousquetaires publié en 1844.
Le d’Artagnan historique, celui campé par Courtilz de Sandras et celui de Dumas qui s’en est inspiré ont quelques points communs : tous trois cadets de Gascogne, montant à Paris pour « prendre du service », devenant des mousquetaires courageux et fidèles. Charles Ogier de Batz naît vers 1612 à Castelmore près de Lupiac en Gascogne. Il entre vers 1633 dans la compagnie des mousquetaires, prend le nom de sa mère, d'Artagnan, et le titre de comte. En 1646, les mousquetaires sont licenciés et d’Artagnan entre au service de Mazarin parmi ses « gentilshommes ordinaires ». Sa fidélité au ministre et au roi pendant les troubles de la Fronde lui valent quelques missions délicates, qui révèlent son tact et son humanité, ainsi que des rétributions, comme la charge de capitaine des petits chiens du Roi courant le chevreuil… Lorsque les mousquetaires sont reconstitués, il devient lieutenant puis capitaine-lieutenant de la première compagnie en 1667. Maréchal de camp en 1672, il meurt au siège de Maastricht l’année suivante. (notice Musée de l'Armée).
Gatien Courtilz de Sandras (1644 (?) -1712) suit une carrière militaire entre 1660 et 1679, passant notamment par les mousquetaires gris. Puis il se fait écrivain, rédigeant des mémoires apocryphes, notamment sur d'Artagnan, Mr de Rochefort, mais aussi des chroniques scandaleuses et des ouvrages politiques. Son œuvre reflète les ambitions et les frustrations de l’aristocratie encore féodale tenue en bride par l’Absolutisme. Sa liberté de ton le mènera d’ailleurs à la Bastille où il séjournera de 1693 à 1699. Dumas s’est largement inspiré de ces pseudo–mémoires pour écrire les Trois mousquetaires, Courtils lui fournissant les personnages d’Athos, de Porthos, d’Aramis ou de Milady et de nombreuses anecdotes. (notice Musée de l'Armée).
A propos du véritable d'Artagnan nous avons le témoignage de Madame de Sévigné qui écrit dans une lettre datée du 27 novembre 1664 adressée à M. de Pomponne : "[...] Il faut que je vous conte ce que j’ai fait. Imaginez-vous que des dames m’ont proposé d’aller dans une maison qui regarde droit dans l’Arsenal, pour voir revenir notre pauvre ami [Nicolas Fouquet]. J’étois masquée, je l’ai vu venir d’assez loin. M. d’Artagnan étoit auprès de lui ; cinquante mousquetaires derrière, à trente ou quarante pas. Il paroissoit assez rêveur. Pour moi, quand je l’ai aperçu, les jambes m’ont tremblé, et le cœur m’a battu si fort, que je n’en pouvois plus. En s’approchant de nous pour rentrer dans son trou, M. d’Artagnan l’a poussé, et lui a fait remarquer que nous étions là. Il nous a donc saluées, et a pris cette mine riante que vous connoissez. Je ne crois pas qu’il m’ait reconnue ; mais je vous avoue que j’ai été étrangement saisie, quand je l’ai vu rentrer dans cette petite porte. Si vous saviez combien on est malheureuse quand on a le cœur fait comme je l’ai, je suis assurée que vous auriez pitié de moi ; mais je pense que vous n’en êtes pas quitte à meilleur marché, de la manière dont je vous connois. [...]" ; puis encore dans une lettre du 11 décembre de la même année 1664 : "[...] Cependant M. Fouquet est allé dans la chambre de M. d’Artagnan : pendant qu’il y était, il a vu par la fenêtre passer M. d’Ormesson, qui venait de reprendre quelques papiers qui étaient entre ies mains de M. d’Artagnan. M. Fouquet l’a aperçu ; il l’a salué avec un visage ouvert, et plein de joie et de reconnaissance ; il lui a même crié qu’il était son très-humble serviteur. [...] À onze heures, il y avait un carrosse prêt, où M. Fouquet est entré avec quatre hommes, M. d’Artagnan à cheval avec cinquante mousquetaires. Il le conduira jusqu’à Pignerol, où il le laissera en prison sous la conduite d’un nommé Saint-Mars, qui est fort honnête homme, et qui prendra cinquante soldats pour le garder.
D'après la chronologie avérée de d'Artagnan on sait que celui-ci apporta une lettre de Louis XIV au comte de Bussy Rabutin, cousin de ladite Madame de Sévigné et gouverneur du Nivernais, à la Charité sur Loire, à la date du 29 mars 1652.
Ces Mémoires de d'Artagnan ont été publiés pour la première fois en 1700. Seul le premier volume, paru tout d'abord et sans tomaison, porte la date de 1700, les volumes suivants portant souvent la date de 1701 ou 1702. Le texte de Gatien Courtilz de Sandras connut un assez grand nombre d'éditions attestant de son succès, et ce malgré l'interdiction de l'ouvrage et les saisies des exemplaires.
L'édition de 1704 donnée sous l'adresse de Pierre Rougé à Amsterdam en 4 tomes in-12 est très rare, d'après les dénombrements que nous avons pu effectuer dans les dépôts publics, plus rare certainement que la première édition de 1700-1701. Elle est imprimée sur un papier très fin et très fragile (ici très bien conservé) et d'une typographie assez petite (probablement des caractères de l'officine des derniers Elzévier de Leyde).
Cette édition est importante dans l'histoire littéraire quand on sait que c'est sur cette édition de 1704 qu'Alexandre Dumas père s'est penché pour rédiger ses Trois Mousquetaires (1844) et sa suite Vingt ans après (1845). "Lors d’un voyage à Marseille où son ami poète Joseph Méry réside, Dumas cherche quelque lecture, ne pouvant rester oisif. À la bibliothèque, on lui prête « Mémoires de M. d’Artagnan », une édition de 1704. Quelle ne fut sa fascination pour l’ouvrage ! Sur la route de Paris, Dumas ne lâche pas le livre d’une page, si bien que la bibliothèque de Marseille attend toujours qu’il le rapporte !".
L'éditeur supposé de cette édition de 1704, à savoir "Pierre Rougé", n'existe pas. Il semble que ce soit pour cette édition que le portrait gravé de d'Artagnan ait été fait, les premières éditions de 1700-1701 n'en possédant pas. Il y aura encore des éditions datées 1712 et 1715. Certains bibliographes indiquent cette édition de 1704 comme véritable seconde édition (la première en 4 tomes) et donnent comme imprimeur Jean Elzévier de Leyde (mais il faut lire plutôt Abraham II Elzévier qui imprima à Leyde jusqu'à sa mort en 1712).
Bel exemplaire de cette édition rare des Mémoires de d'Artagnan, le plus célèbre des Mousquetaires du roi grâce à Alexandre Dumas père.
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