Robert de MONTESQUIOU (comte).
Le parcours du rêve au souvenir. Troisième ouvrage carminal. Avec un avant-propos de José-Maria de Heredia de l'Académie Française.
Paris, Bibliothèque-Charpentier, G. Charpentier et E. Fasquelle, 1895
1 volume in-18 (19 x 13,5 cm) de (4)-IV-420 pages.
Reliure à la bradel demi-maroquin taupe à larges coins. Couvertures imprimées conservées (les deux plats et le dos), non rogné. Quelques légers frottements et éraflures estompés. Intérieur frais malgré le recto et le verso du dernier feuillet bruni (acidification du papier par le contacte avec les plats de couverture). Reliure signée Alfred FAREZ (successeur de CARAYON après 1909).
Edition originale.
Un des 20 exemplaires sur papier de Hollande.
Il a été tiré en outre 10 exemplaires sur papier du Japon.
Les avis sur les ouvrages du Comte de Montesquiou sont et seront toujours très partagés pour ne pas dire très tranchés. En voici deux, aux extrémités.
"Voyager, pour le poète, ce
n'est pas seulement changer de route et d'horizon, voir se déplier les vallées
derrière les avenues et les plaines au pied des monts, c'est s'imprégner en
même temps de tout ce que l'air transporte et rapporte : aromes, chansons,
couleurs, aspects et mirages. Voilà pourquoi le nouveau livre du comte
Robert de Montesquiou-Fezensac, le Parcours du rêve au souvenir, justifie si
bien son titre par la variété limitée et séparée de tant de pages lumineuses et vivaces.
De la Bretagne, il nous distribue l'air salin, les clochers alternant avec les
moulins sur le ciel et la mer verdâtres, les pèlerinages dépassant les chemins
creux, de la croix d'argent et du blanc claquement des bannières et des coiffes. De la Hollande, des moulins encore, des parcs trop verts, des carillons
alternés, un Haarlem triste, mais un océan du Nord « plus désolé que l'autre ». Que tout cela est bien dit ! Que de délicatesse et de sensitivité d'impression !
Il y a du peintre dans ce poète, de l'impressionniste aux capricieux pinceaux,
aux recherches colorées et neuves. J'avoue aimer moins les souvenirs algériens, sous le titre de Palmes,
malgré de jolis tableaux, vivement déroulés et touchés de vraie poésie, mais
qui gagneraient peut-être à quelques éliminations, puisque l'art est du choix et que nul ne le sait mieux que le distingué auteur des Chauves-Souris, l'auteur de tant de vers très rares de facture et de nuances où l'on devine à la fois l'écrivain de race et le curieux d'art. (Mme Alphonse Daudet, La Nouvelle Revue).
"Le comte Robert de
Montesquiou-Fezensac qui, avec le Parcours du rêve au souvenir
publie son troisième volume de vers, ou, comme il s'exprime, son
« troisième ouvrage carminal ». Or, il s'est élevé, précisément
à propos de ce volume, une polémique assez oiseuse. Un journaliste, arguant de la nullité poétique des vers qu'il contient, s'est
cru autorisé à dauber sur les gentilshommes de lettres et à les
qualifier dédaigneusement d'« amateurs ». Les gentilshommes
avaient beau jeu pour se défendre. Il leur suffisait de citer et Lamartine et Vigny. Comme si vraiment même il y eut jamais
des poètes « professionnels » ! Des rimeurs, peut-être, mais des
poètes !.. Le poète est celui qui aime et qui chante ce qu'il
aime, qui le chante selon le vœu de son âme et le mouvement
libre de son génie. C'est, ce me semble, tout à fait le cas de M. Robert de Montesquiou. Il a rimé, des critiques l'ont applaudi, hypnotisés par
la couronne comtale, ou payés par des dîners, des invitations,
des sourires, des poignées de mains ou des compliments réciproques ; car c'est ainsi que se fait la critique de presque tous les
journaux en l'an de presse 1895 — et M. de Montesquiou s'est
cru un poète. Le plaisant, c'est qu'il a été si rudement attaqué
précisément dans ce même Figaro où quelques semaines auparavant il avait été profondément encensé par M. Philippe Gille,
le critique officiel de la maison.
Que dire du volume même ? Mais rien, ou à peu près. L'auteur
veut rimer partout, sur tout, à propos de tout. Il met des
rimes à chacune de ses idées ; quand il n'a pas d'idée, ce qui
arrive, il assemble encore des rimes et cela fait des suites de sons
alternés, d'allitérations bizarres, de sautes d'esprit étranges,
qui prétendent nous traduire des impressions de voyage en
Hollande, en Suisse, à Venise, à Londres, en Algérie, et qui
nous montrent surtout l'incohérence de l'esprit, la pauvreté
des idées et même du vocabulaire malgré l'influence, que l'on
sent partout présente, du Dictionnaire des rimes. Se peut-il rien
qui soit plus professionnel ? — Et je ne prétends pas assurément que, sur ces dix ou
douze mille vers, il n'y en ait quelques-uns qui aient quelque
grâce ou exhalent un poétique parfum ; mais, hélas ! au prix de
quelles fatigues ne faut-il pas les trouver ? Avec une désinvolture de grand seigneur, M. de Montesquiou a vidé une partie
de ses portefeuilles. S'il avait été vraiment l'amateur qu'on l'a
bien injustement accusé d'être, il y aurait mis quelque choix.
Ce n'est pas le choix qui manque, au contraire , et le souci
de la construction des vers, dans les œuvres des autres poètes
que j'ai maintenant à examiner. Tous paraissent avoir un grand
souci de la technique, et chez quelques-uns cette préoccupation
arrive jusqu'à donner à leur réunion le caractère d'une école
quelque peu systématique. Leur principal souci paraît être
d'assurer par la variété des coupes, par la liberté plus grande
des rimes, la sonorité mélodieuse du vers." Georges Fonsegrive, La Quinzaine.
« Poète et dandy insolent », il aurait servi de modèle à des Esseintes dans À Rebours (1884) de Huysmans et à Monsieur de Phocas de Jean Lorrain (qui l'appelait Grostesquiou). Il fournit aussi à Marcel Proust l'un des modèles du baron de Charlus dans À la recherche du temps perdu, ce qui le rendit furieux malgré les dénégations de Proust.
Bel exemplaire du rare tirage sur Hollande.
Prix : 1.250 euros