dimanche 23 février 2020

Guy de Maupassant. Imprudence, nouvelle illustrée d'aquarelles d'après les croquis d'Henriot (1899). Tirage unique à 100 exemplaires. "Parce que, une femme, c'est une liaison, c'est un amour qui vous attache à elle, tandis que cent femmes c'est de la saleté [...]" (G. de Maupassant)


Guy de MAUPASSANT / HENRIOT (illustrateur)

IMPRUDENCE. Aquarelles originales d'après Henriot.

1899, Aux dépens d'un Ami des Livres, Paris, Imprimeries Lemercier. [A. Conquet].

1 volume in-8 (25,5 x 17,5 cm) de XXXI pages. Chaque page étant illustrée d'un ou plusieurs dessins d'après les croquis d'Henriot, aquarellés à la main (environ 75 dessins reproduits et aquarellés). Papier Japon.

Reliure de l'époque demi-veau vert pistache, dos lisse richement orné aux petits fers et pastilles de maroquin mosaïqué de diverses couleurs, relié sur brochure. La couverture est datée 1899 est conservées (les deux plats - en excellent état). Bien complet de la suite sur Chine (en noir) reliée in fine. Complet. Reliure signée G. CARAVON (pour E. CARAYON, ce qui ne fait aucun doute). Reliure passée (dos viré au caramel ... coins frottés/usés, couleur des plats passée) néanmoins encore décorative et solide). Intérieur parfait.


Tirage unique à 100 exemplaires sur Japon.

Celui-ci marqué "offert" et paraphé par l'éditeur (A. Conquet).





Cette nouvelle de Maupassant, qui décrit de façon satirique l'usure d'un couple qui pour retrouver le feu des débuts se retrouvent dans un cabaret galant anciennement fréquenté par le mari, homme couvert de maîtresses et qui en fait finalement la confidence à sa femme largement avinée. Si le texte de Maupassant ne manque pas de piquant, l'illustration humoristique donnée ici par Henriot constitue la première illustrée de ce texte méconnu du célèbre auteur de Boule de suif et de la Maison Tellier. Ce texte avait paru initialement en 1885 dans la presse (Gil Blas, sous le pseudonyme de Maufrigneuse) puis dans le recueil intitulé Monsieur Parent (1886).









L'histoire de cette édition bibliophilique tirée à très petit nombre nous a été révélée par un exemplaire unique que nous possédons par ailleurs et dans lequel l'illustrateur Henriot explique sa mise en œuvre. Henriot écrit : "En l'an 1899, j'avais dessiné en hâte la charmante nouvelle de Guy de Maupassant. Ces illustrations ne devaient pas être reproduites, surtout mal. Le Bibliophile qui avait acheté chez Conquet ce manuscrit enluminé eut le toupet de le faire reproduire, sans même consulter l'auteur, qui s'y serait opposé absolument. Le titre vrai de ce plagiat en librairie ne devrait donc pas être "Imprudence" mais "Impudence !" Nesles-la-Vallée, Juillet 1926. [signé Henriot]." L'impudent bibliophile dont il est ici question est M. Albert Bélinac, célèbre pour avoir réuni une bibliothèque d'éditions modernes habillées de somptueuses reliures décorées. On retrouve d'ailleurs l'exemplaire unique constitué des dessins originaux de Henriot au catalogue de sa bibliothèque vendue par A. Durel en 1909 ainsi qu'un des 100 ex. sur Japon (n°290 et n°291 du catalogue). Nous avons bien du mal à être du même avis que l'illustrateur Henriot. L'impression et le coloris à la main de cette suite de petits dessins est du plus bel effet et rend tout à fait parfaitement les dessins originaux de l'artiste. Sans doute y-a-t-il sous cette colère d'autres raisons (financières ?) que nous ignorons et qui expliqueraient plus justement cet avis au lecteur.

"[...] je voudrais... je voudrais être prise pour ta maîtresse... na... et que les garçons, qui ne savent pas que tu es marié, me regardent comme ta maîtresse, et toi aussi... que tu me croies ta maîtresse, une heure, dans cet endroit-là, où tu dois avoir des souvenirs... Voilà !... Et je croirai moi-même que je suis ta maîtresse... Je commettrai une grosse faute... Je te tromperai... avec toi... Voilà !... C'est très vilain... Mais je voudrais... ne me fais pas rougir... Je sens que je rougis... Tu ne te figures pas comme ça me... me... troublerait de dîner comme ça avec toi, dans un endroit pas comme il faut... dans un cabinet particulier où on s'aime tous les soirs... tous les soirs... C'est très vilain... Je suis rouge comme une pivoine. Ne me regarde pas... [...] Vers le milieu du dîner, Henriette était grise, tout à fait grise, et Paul, en gaieté, lui pressait le genou de toute sa force. Elle bavardait maintenant, hardie, les joues rouges, le regard vif et noyé. - Oh ! voyons, Paul, confesse-toi, tu sais je voudrais tout savoir ? - Quoi donc, ma chérie ? - Je n'ose pas te le dire. - Dis toujours... - As-tu eu des maîtresses... beaucoup... avant moi ? Il hésitait, un peu perplexe, ne sachant s'il devait cacher ses bonnes fortunes ou s'en vanter. Elle reprit : - Oh ! je t'en prie, dis-moi, en as-tu eu beaucoup ? - Mais quelques-unes. - Combien ? - Je ne sais pas, moi... Est-ce qu'on sait ces choses-là ? - Tu ne les as pas comptées ?... - Mais non. - Oh ! alors, tu en as eu beaucoup ? - Mais oui. - Combien à peu près... seulement à peu près. - Mais je ne sais pas du tout, ma chérie. Il y a des années où j'en ai eu beaucoup, et des années où j'en ai eu bien moins. - Combien par an, dis ? - Tantôt vingt ou trente, tantôt quatre ou cinq seulement. - Oh ! ça fait plus de cent femmes en tout. - Mais oui, à peu près. - Oh ! que c'est dégoûtant ! - Pourquoi ça, dégoûtant ? - Mais parce que c'est dégoûtant, quand on y pense... toutes ces femmes... nues... et toujours... toujours la même chose... Oh ! que c'est dégoûtant tout de même, plus de cent femmes ! Il fut choqué qu'elle jugeât cela dégoûtant, et répondit de cet air supérieur que prennent les hommes pour faire comprendre aux femmes qu'elles disent une sottise : - Voilà qui est drôle, par exemple ! s'il est dégoûtant d'avoir cent femmes, il est dégoûtant également d'en avoir une. - Oh non, pas du tout ! - Pourquoi non ? - Parce que, une femme, c'est une liaison, c'est un amour qui vous attache à elle, tandis que cent femmes c'est de la saleté, de l'inconduite. Je ne comprends pas comment un homme peut se frotter à toutes ces filles qui sont sales... - Mais non, elles sont très propres. [...]" (extrait)




Provenance : Exemplaire de la bibliothèque de Auguste Zakrzewski (ex libris armorié gravé en relief), journaliste et plubiciste polonais réfugié en France à partir de 1863. On lit dans Carteret, Trésor du Bibliophile : "Ce seigneur, grand propriétaire terrien en Ukraine, était un bibliophile aussi aimable que distingué ; très érudit, il avait une grande passion pour les lettres françaises. Il forma par nos soins une bibliothèque assez importante et variée qui fut dispersée au cours de la révolution russe (1917)."



Belle provenance pour ce très beau livre illustré par l'aquarelle rare.

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