L. de Bordes de Fortage [Rétif de la Bretonne - Restif de la Bretonne]
[Restif de la Bretonne - Rétif de la Bretonne]. Une visite à la ferme de la Bretonne (septembre 1873).
Bordeaux, Imprimerie G. Gounouilhou, 1905
1 volume petit in-4 (23,5 x 18,5 cm) de 16-(1) pages.
Reliure strictement de l'époque bradel demi-maroquin à larges coins, tête dorée, non rogné, couverture imprimée conservée (les deux plats et le dos), dos lisse titré or avec millésime doré en queue (reliure signée Champs-Stroobants).
Edition originale.
"Au mois de septembre 1873, je me trouvais à Auxerre, je voulus voir le village qui donna le jour au peintre des moeurs populaires de la fin du XVIIIe siècle, le trop fécond Restif de la Bretonne [...]". Ainsi commence ce texte donné par un rétivien renommé, L. de Bordes de Fortage, dont la bibliothèque remplie (entre autres choses) des éditions anciennes du Paysan perverti de Sacy, fut vendue entre 1924 et 1927.
NDLR : Savez-vous la différence entre un éclair à la vanille et ce livre ? A vrai dire, il faut bien convenir qu'une fois un éclair à la vanille englouti, à peine une heure ou deux de digestion passés, il reste mille fois plus de souvenirs et de sensations qu'une fois ce mince volume lu et refermé. Extrait des Actes de l'Académie des Sciences, Belles-lettres et Arts de Bordeaux, ces 11 pages et demi (le texte ne commence qu'à la page 5 et se termine par 8 lignes à la page 16, pour ne pas être indigestes, provoquent néanmoins un vide gastrique certain pour ne pas dire qu'elles donnent au lecteur, par trop d'air, quelque crise aigue d'aérophagie bibliophilique. Il faut en convenir, ce livre n'est rien. Rien ! Pas même un petit rien, non, un rien complet. O ! un rien bien imprimé sur beau papier vergé. Un rien rare. Une belle impression à très petit nombre composée en tout et pour tout de 51 exemplaires. 1 exemplaire sur papier Whatman et 50 exemplaires sur papier à bras comme il est écrit pour faire son effet. Notre exemplaire est numéroté au composteur (n°39), une numérotation manuscrite aurait sans doute fatigué outre mesure notre auteur. Rien disais-je, et c'est encore beaucoup trop que de le dire. On me rétorquera que la valeur d'un livre ne se mesure pas au nombre de pages qu'il contient. Certes. Il existe bien encore quelques auteurs réputés pour donner des préfaces inutiles de vingt lignes quand on les prie de les écrire pour avoir leur nom en grosses lettres sur la couverture d'un ouvrage réputé. Rien, non pas parce qu'il vous faudra cinq minutes pour lire cet opuscule. Rien, non pas parce que l'auteur croyant que ces 11 pages 1/4 valaient assez pour emprunter une page entière au moins au Paysan perverti même. Non. Rien, parce que rien. Cet opuscule ne vaut véritablement rien. Sévérité ! Outrecuidance ! Effronterie ! Et j'en passe. On pourra m'accuser de tout. Mais on ne pourra pas m'accuser de ne pas avoir su vous prévenir du vide sidéral qui vous attend à la lecture de ce texte condescendant de Bordes de Fortages à l'égard des "braves gens" du pays de Rétif comme il l'écrit lui-même. Evidemment on me dira que Bordes de Fortages pénétra dans cette maison chargée d'histoire, qu'il nous décrit les lieux, qu'il nous donne ses impressions, etc. Certes. Louons-le ! Dans les dernières lignes Bordes de Fortages nous dit même qu'il fut accosté par les petits-neveux de Rétif, un nommé Chefmartin qui lui parla du livre de Monselet et du Paysan perverti, de la Vie de mon père et des Contemporaines. Et puis, et puis, rien ... rien de rien. Bordes de Fortages quitte Sacy comme il y était venu, en inconnu inutile qu'il était pour ces "braves gens". Et c'est sans doute bien ainsi. On remarquera néanmoins la belle vignette gravée sur bois de l'imprimeur bordelais Gounouilhou en colophon. Le volume a été achevé d'imprimer le 20 février 1905. Que dire de plus ? Ah oui, Bordes de Fortages a offert cet exemplaire à un certain Marcel ... (le nom est peu lisible), affectueusement offert selon ses mots. La reliure probablement commanditée par ce dédicataire est restée intacte, très propre, très fraîche. On aurait été étonné du contraire. Ce petit volume de rien aura sans doute passé plus d'un siècle coincé entre des ouvrages d'une utilité bien supérieure. Il aura ainsi été protégé des outrages du temps qui n'épargne que les inutiles. O ! nous avons été bien sévère avec un livre que nous aurions du chérir comme nous chérissons tous les bons ouvrages de Rétif. Et nous en sommes bien triste. Mais il nous fallait absolument vous raconter notre ressenti, volume en mains, afin que vous puissiez vous faire une idée de ce que donne un livre écrit pour ... rien ! Il aurait pu contenir mille choses intéressantes sur Sacy, la ferme de la Bretonne et notre ami Rétif, mais rien. Manqué ! Maintenant il faut bien convenir qu'il peut paraître peu orthodoxe pour un libraire de proposer à la vente un livre fait de rien (je ne mets volontairement par de S à rien, ce serait déjà trop). Et pourtant, il faut bien penser à le vendre ce beau volume, à lui trouver un asile pour le siècle qui vient, peut-être même, qui sait, lui trouver un adorateur secret qui saura dénicher quelque chose sous ce rien qui domine. Je l'espère vraiment, comme j'espère mon jugement altéré pour l'occasion. Une sorte de démence rétivienne après l'heure en somme, une démence qui défend l'honneur de Rétif de la Bretonne au delà du raisonnable. Il fallait. Question d'honneur. Monsieur de Bordes de Fortages, si d'outre-tombe vous lisez ceci, sachez que vous n'avez fait honneur ni à votre nom, ni à Rétif de la Bretonne, ni aux braves gens de Sacy, en donnant à lire cette production toute de nihilisme historique et littéraire. Vale !
A mes lecteurs, à mes clients avisés,
je présente d'ores et déjà mes excuses pour ces palabres tout aussi inutiles que la production de M. de Bordes de Fortages. Puissé-je trouver la rédemption dans votre rire compréhensif.
Bel exemplaire.
Prix : 700 euros