[Anonyme]. [Le Boucher ?]
[PROSTITUTION AU XVIIIe S. | MAISONS CLOSES] Histoire de Mademoiselle Brion dite Comtesse de Launay.
Imprimée aux dépens de la Société des Filles du bon ton. M. DCC. LIV [1754].
1 volume petit in-8 (16,5 x 10,2 cm) de 137 pages y compris la page de titre imprimée en rouge et noir. Le verso du dernier feuillet est blanc.
Cartonnage bradel pleine percaline cerise, pièce de titre en cuir noir dorée en long au dos, gardes et doublures de papier vergé crème (reliure non signée mais datant de la fin du XIXe siècle et tout à fait dans le goût des productions de PIERSON). Excellent état. Reliure très fraîche. Pâles rousseurs au titre. Intérieur frais. Marge de tête un peu courte. Collationné complet.
Une des premières éditions sinon la première.
Fuyant les perversités paternelles, Mlle Brion se réfugie dans le bordel de la Verne. Cette maquerelle bienveillante se chargera de vendre son pucelage et de l’initier au mythe de l’amour. Selon Guillaume Apollinaire, dans sa préface pour la « Bibliothèque des curieux » de 1913 : « Le bon ton qui règne dans cet ouvrage lui donne encore une place à part dans la littérature de mœurs au XVIIIe siècle, littérature si riche qu’elle nous servirait facilement à reconstituer l’histoire du temps, si même les documents originaux et les archives venaient à disparaître. »
C'est Octave Uzanne, qui le premier, donna écho à ce texte, doit être porté au titre des bibliographes de "Mademoiselle Brion". Il publie le texte de ce roman vécu dans sa Gazette de Cythère publiée en 1881.
"L'auteur de cet ouvrage galant est entièrement inconnu, écrit Octave Uzanne ; la bibliographie reste muette à cet égard ; un des plus lettrés bibliophiles de ce temps inclinait à penser que Gaillard de la Bataille, le pamphlétaire de Mlle Cronel, dite Frétillon, pourrait avoir écrit cette manière d'autobiographie de la Launay ; mais il n'y a pas concordance de dates. Sans vouloir nous lancer dans les hypothèses romantiques, nous croyons que Mlle Brion, dite comtesse de Launay est cette même fille assez célèbre dans les Cythères de la seconde moitié du XVIIIe siècle, qui devint plus tard proxénète connue et dont enfin Bachaumont parle à différentes reprises en 1779 et 1787, alors qu'elle tenait officine de plaisir à Paris. Nous trouvons, en effet, dans des petites affiches narquoises de maisons ou d'appartements à louer, cet entrefilet où il est question de cette mère abbesse, qui supplanta Mme Gourdan : Petit appartement au cinquième en siamoise, à troquer contre un appartement au premier en damas de trois couleurs. S'adresser à Madame Sainte-Marie, ouvrière en tours de lit, ou chez Madame de Launay, rue des Petits-Champs, ou elle travaille à la journée. [...]"
Octave Uzanne qualifie le texte de l'Histoire de Mademoiselle Brion de : "fameuse confession, où la vérité perce sous la crudité des détails." Il poursuit : "Ne cherchons donc pas à démontrer autrement la paternité littéraire d'un opuscule très osé, qui ne mérite notre intérêt et n'a attiré notre attention que par la crânerie et à la fois la naïveté des vices qui s'y produisent. [...] L'histoire des mœurs ne saurait certes afficher le moindre bégueulisme, et nous croyons qu'après l'exquise idéalisation pseudo-réaliste de Manon Lescaut il était bon de montrer encore la créature de fange dans l'absolue réalité de son croupissement bestial, c'est-à-dire la fille du XVIIIe siècle, issue de la misère, placée, par sa faiblesse organique et ses désirs de lucre, sur le même degré d'abjection que la "ribaude folieuse" du moyen-âge, ou la misérable "Nana", une Brion de ce temps."
Cette édition est mentionnée dans une lettre d'Héméry à Berryer datée du 30 novembre 1753 (archives de la Bastille). Selon cette source 600 exemplaires furent saisis "en feuilles" et sans estampes. L'ouvrage aurait été imprimé pour un certain Dumarchais. "L'édition du livre intitulé : Histoire de mademoiselle Brion, dite comtesse de Launay, était chez M. de Laumur, lequel lui en donnait de temps en temps à vendre pour M. Le Boucher, gendarme de la garde, qui en était l'auteur [...]" (cependant il est question ici d'un livre entièrement gravé ?? ce qui n'est pas le cas de notre exemplaire). Il semblerait qu'Octave Uzanne n'ait pas eu accès à ces archives de la Bastille.
Guillaume Apollinaire contredit Octave Uzanne en écrivant : L’histoire de Mlle Brion, dite comtesse de Launay, a été fort mal à propos confondue par homonymie (Catalogue remanié du comte d’I***) avec l’ouvrage de Gaillard de la Bataille sur Mlle Clairon : Histoire de Mlle Cronel, dite Frétillon, etc. On ne voit pas bien ce qui a pu donner lieu à une aussi singulière confusion.
Ce petit roman, dont l’édition originale a paru en 1774 sous le titre de Nouvelle Académie des dames, et sans nom d’auteur, est resté anonyme.
Il contient d’intéressants détails sur des mœurs que nous connaissons bien ; aussi ne faut-il point le lire au point de vue documentaire, mais plutôt comme une œuvre littéraire, témoignage un peu timide des grands efforts que l’on faisait à cette époque pour amener de la liberté, de l’air, de la vérité, c’est-à-dire de la lumière dans les lettres.
À ce titre, l’Histoire de Mlle Brion mérite notre attention.
Le bon ton qui règne dans cet ouvrage lui donne encore une place à part dans la littérature de mœurs au XVIIIe siècle, littérature si riche qu’elle nous servirait facilement à reconstituer l’histoire du temps, si même les documents originaux et les archives venaient à disparaître. (Guillaume Apollinaire, Bibliothèque des Curieux, Histoire de Mademoiselle Brion, 1913). NDLR : le moins qu'on puisse dire c'est que Guillaume Apollinaire ne se foulait pas la rate lorsqu'il donnait une (courte) notice pour la Bibliothèque des Curieux ...
Comme on voit l'histoire de ce texte est plus qu'embrouillée et mériterait un article de synthèse complet que nous essaierons de donner prochainement.
"Je fus bientôt au fait de tous les secrets de la maison. Je connus les noms et surnoms de tous les pages et mousquetaires qui y venaient. Je vis qu’il était du bon ton de jouer la fille entretenue. Toutes mes compagnes s’étaient choisi ce que nous appelons entre nous autres femmes du monde un greluchon, qui est auprès d’un entreteneur ce qu’est un amant auprès du mari d’une honnête femme ; tout n’est que préjugés dans le monde. [...] Vous serez, sans doute, étonnée, madame, de m’entendre parler de dettes contractées chez la Verne, après y avoir demeuré deux mois, fait nombre de partis dont elle avait touché l’argent et en sortir plus nue que je n’y étais entrée : c’est le grand art de ces sortes de courtières de la vertu féminine, vraies sangsues du peuple libertin, d’endetter les créatures qui leur servent à ruiner la jeunesse ; bien plus, en jouissant du revenu de leurs charmes, elles acquièrent un droit sur leur liberté : c’est ce qui s’appelle le secret du métier et qui sera toujours une énigme pour les filles qui en sont la victime." (extrait)
Ce texte fameux connut plusieurs éditions dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, certaines comportant quelques gravures. Toutes les éditions anciennes de ce texte sont rares.
Bel exemplaire de ce texte rare traitant de la prostitution et des moeurs dans les Maisons parisiennes au milieu du XVIIIe siècle.
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