vendredi 26 juin 2015

Princesse d'Italie par Jean Lorrain (1898), avec des illustrations de Manuel Orazi. Exemplaire relié par Louis Dezé en veau modelé teinté (symbolisme et Art Nouveau). Rare.




Jean LORRAIN - Manuel ORAZI illustrateur - Louis DEZÉ, relieur

PRINCESSE D'ITALIE. Illustrations de M. Orazi.

Paris, Librairie Borel, 1898

1 volume in-16 allongé (14,5 x 7,5 cm), 78-(3) pages.


Reliure de l'époque plein veau marron glacé, dos lisse avec nerfs de coiffe marqués, reliure entièrement modelée et teintée par le relieur-artiste Louis Dezé, spécialiste de ce type de reliure parlante entre Art nouveau et Symbolisme. Roulette dorée en encadrement intérieur des plats, doublures et gardes de papier peigne, tête dorée, autres tranches non rognées, couverture illustrée conservée. La reliure est signée L. D. pour Louis Dezé au bas de la composition du plat inférieur. Le plat supérieur est décoré d'une grande composition (princesse au centre, épées entrecroisées au dessus de sa couronne, encadrement symboliste), le dos est lui aussi modelé (princesse surmontée d'un grand poignard), le plat inférieur est lui aussi modelé (trois têtes accolées et traversées d'une hache). Traces de coloration. Infimes frottements. Superbe état de conservation. Intérieur très frais imprimé sur papier vélin couché épais (papier ordinaire de la collection Lotus Alba de la Librairie Borel).


ÉDITION ORIGINALE.

TIRAGE COURANT SUR PAPIER VÉLIN COUCHÉ.


"(...) Simonetta Foscari, épousée pour sa royale beauté et sa jeunesse triomphante, apportait dans cette rude petite cour des Vintimille les élégances raffinées, les mœurs libres et les somptuosités d'une princesse florentine. (...) Car le scandale était aujourd'hui public ; pis, il avait franchi la frontière et faisait la joie de l'Italie et de la Provence ; la duchesse s'était débauchée. C'était une courtisane qui régnait maintenant à la cour des Salviati et, parmi tant de favoris, menu fretin qu'expédiait à la semaine le lacet des étrangleurs ou le poison des alchimistes attachés au palais : trois cependant, trois Italiens alliés dans le même intérêt de leur salut et de leur crédit, se partageaient les faveurs ducales : Beppo Nardi, un poète élevé à la cour d'Avignon et sonneur de sonnets de l'école de Pétrarque, profil de camée, au glabre et fier visage, toujours encapuchonné de velours écarlate et dont la muse, aussi souple que son échine, célébrait chaque matin la glorieuse jeunesse de Simonetta ; Angelino Barda, musicien gratteur de mandoline, compositeur, à ses heures, de langoureuses canzones qu'il accompagnait d'une voix assez fraîche, d'une origine napolitaine celui-là, brun comme une olive avec de larges yeux d'un blanc bleuâtre, d'ardentes lèvres sèches, des lèvres de fièvre et de volupté du noir violacé des mûres (Angelino de Naples, qu'on disait singulièrement inventif en mode de plaisir), et Petruccio d'Arlani, enfin, peintre-sculpteur à la manière de Michel-Ange, une brute superbe, musclé comme un athlète, aux noirs cheveux drus et crespelés sur une petite tête d'Antinoüs, Petruccio d'Arlani, un ancien pâtre, disait-on, descendu des Abruzzes dans les ateliers de Rome où il avait posé comme modèle, légendaire étalon des grandes dames romaines qu'une ironie du Vatican, une idée d'après boire du Pape à la fin d'un souper, aurait adressé à la cour de Vintimille entre deux légats et un nonce comme spécimen de l'art romain..., le ragazzo étant très beau, la duchesse l'avait gardé. (...) Et, sûrs de l'impunité, les favoris s'enhardirent, et l'audace de la duchesse osa même plus encore. Grisée par la flatterie et les encens, la Levrette eut la folie du scandale, elle voulut affirmer, afficher dans un éclat son adultère et ses amants... femme folle de son corps est bientôt dénuée de sens ; et, perdant toute prudence, conseillée par on ne sait quel mauvais génie, cette aventureuse Simonetta ne résolut rien moins que de paraître elle-même sur la scène, devant toute la cour, à côté de ses trois amants, qui tiendraient un rôle auprès d'elle, et cela dans une comédie ou ballet de circonstance, où s'affirmerait le talent de chacun d'eux. (...) La mort de Saint-Jean-Baptiste, la décollation du Précurseur, la légende de luxure et de sang dont toute la Renaissance italienne a eu comme l'obsession, Hérode et Salomé, les terribles figures qui ont tenté tous les peintres de cette époque et dont les musées nous ont légué la dangereuse hantise, voilà le sujet vers lequel avait été tout droit cette voluptueuse et cette tenace. Parmi tant d'héroïnes de la Bible et de la Fable, Salomé l'avait requise entre toutes ; et elle, née princesse à Florence, et de par son mariage duchesse et marquise, c'est l'impudique princesse de Judée qu'il lui plaisait d'évoquer, d'incarner, de vivre un soir devant tout un peuple. Cette petite fille qui danse, toute nue, devant un vieux roi libertin, et obtient une tête ennemie par la mystérieuse offrande de son sexe, voilà le personnage qu'elle voulait être. C'était à la réalisation de cette chimère que se plaisait sa perversité ; et qui sait si cette curieuse imagination d'Italienne n'avait pas été séduite par un rapprochement possible entre l'âge avancé de l'Hérode légendaire et la vieillesse anticipée de son mari ! (...)"


Cette courte nouvelle avait été publiée les 13 et 23 août 1897 dans le Journal sous le titre Les trois têtes. C'est l'histoire transposée de Salomé et de St-Jean le Baptiste décapité accompagné du soufre des amours libertines d'une princesse italienne. Octave Uzanne dut apprécier ce petit texte. Jean Lorrain eut la délicatesse de le lui dédier (dédicace imprimée en début de volume).

Les reliures modelées symbolistes de Louis Dezé sont rares. L'association d'un texte de Jean Lorrain, de l'illustration Art Nouveau et Symboliste de Manuel Orazi et d'un relieur atypique font de ce petit livre un petit bijou bibliophilique témoin de son époque fin de siècle.


BEL EXEMPLAIRE.
VENDU